Mise sous scellés et copie forensique de données informatiques: la pratique du TPF désavouée par le TF
Le Tribunal fédéral (TF) a tout récemment mis en ligne l’arrêt 1B_432/2021 du 28 février 2022 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=1b_432%2F2021&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F28-02-2022-1B_432-2021&number_of_ranks=13), destiné à la publication aux ATF, lequel s’inscrit dans le cadre d’une enquête pénale administrative menée par l’Administration fédérale des douanes (l’AFD; depuis le 1er janvier 2022: l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières [l’OFDF]) à l’encontre de A., soupçonné d’infraction à la Loi fédérale du 18 mars 2005 sur les douanes (LD; RS 631.0) et à la Loi fédérale du 12 juin 2009 régissant la taxe sur la valeur ajoutée (LTVA; RS 641.20).
À l’origine de la procédure, A. a été soumis en date du 10 septembre 2020 à un contrôle douanier à l’aéroport de Zurich – effectué ensuite d’un avis d’entraide administrative des autorités douanières portugaises –, lors duquel notamment douze montres-bracelets ont été saisies, lesquelles n’avaient pas été dûment déclarées à l’importation en Suisse par A. Le même jour, l’AFD a saisi, entre autres, deux téléphones portables ainsi qu’une tablette appartenant à A.
Dans un premier temps, A. n’a pas exigé la mise sous scellés de ses appareils informatiques, se contentant de déclarer qu’il ne divulguerait pas les codes d’accès. Le 14 septembre 2020, le conseil de A., constitué entre-temps, a demandé la mise sous scellés des appareils en question, motif pris de ce qu’ils comportaient de la correspondance couverte par le secret professionnel de l’avocat, des informations strictement personnelles, ainsi que des secrets commerciaux.
Le 1er octobre 2020, l’AFD a transmis les appareils informatiques à l’Office fédéral de la police (fedpol), division "IT Forensics & Cybercrime", avec pour mission "Unlock with Bruteforce and Extraction".
Par requête du 8 octobre 2020, l’AFD a formulé par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) une demande de levée des scellés portant sur les trois appareils informatiques de A.
Le 5 novembre 2020, fedpol a mis sous scellés les trois supports de données après les avoir débloqués et effectué une copie forensique (copie-miroir) de leur contenu. En date du 6 novembre 2020, fedpol a remis lesdits supports sous scellés à la Cour des plaintes du TPF.
Par décision du 14 juillet 2021 (BE.2020.17; https://bstger.weblaw.ch/#/cache?id=79d0c29c-0f0c-494e-950f-e813e9fa821e&searchTerm=BE.2020.17&&sortField=publicationDate&sortDirection=desc&index=0&guiLanguage=fr&size=n_20_n), la Cour des plaintes du TPF a admis la demande de levée des scellés et a autorisé l’AFD à exploiter les données saisies.
A. a formé en date du 16 août 2021 un recours en matière pénale – assorti d’une requête d’effet suspensif – auprès du TF, concluant principalement à l’annulation de la décision de la Cour des plaintes du TPF et au renvoi de l’affaire à cette dernière pour nouveau jugement.
Par arrêt du 28 février 2022, objet du présent signalement, le TF a admis le recours.
À titre liminaire, après avoir réaffirmé sa jurisprudence selon laquelle le principe « nemo tenetur se ipsum accusare » comporte que le prévenu ne saurait être obligé de divulguer, contre sa volonté, les codes d’accès de ses appareils électroniques, le TF rappelle que dans la procédure de levée des scellés (art. 50 al. 3 cum 25 al. 1 DPA), ce n’est pas l’autorité de poursuite, mais le tribunal des mesures de contrainte – le cas échéant avec l’aide d’un expert – qui doit examiner si des intérêts dignes de protection au maintien du secret ou d’autres obstacles légaux à la levée des scellés s’opposent à une perquisition (c. 2.2 et 2.3).
Le TF est ensuite amené à se prononcer sur la pratique du TPF en matière de procédure de scellés, initialement développée en lien avec les procédures d’entraide administrative et judiciaire.
Selon cette pratique, le TPF n’entre en principe pas en matière sur les demandes de levée de scellés de supports de données originales, mais laisse la possibilité à l’autorité requérante de déposer une nouvelle demande de levée de scellés en même temps que la transmission d’une copie forensique. À cet égard, après la saisie des appareils électroniques, l’autorité d’entraide judiciaire ou un service spécialisé mandaté établit une copie forensique des données, ensuite de quoi les appareils sont restitués au défendeur et la copie forensique de données sous scellés est transmise au TPF (c. 2.4).
Le TPF justifie notamment sa pratique par le fait que, selon l’art. 20 al. 1 cum 37 al. 1 DPA, il appartient à l’autorité administrative, en tant qu’autorité de poursuite, d’effectuer une copie forensique des données afin de préserver l’intégrité des preuves; cette procédure éviterait tout reproche de manipulation des données à l’endroit de l’autorité d’enquête et servirait à la sauvegarde desdites données et leur protection contre une éventuelle perte. De plus, ni le déblocage des appareils électroniques ni la copie forensique n’impliqueraient un examen des supports de données. Enfin, un examen non autorisé du contenu par l’autorité de poursuite avant la levée des scellés serait punissable, de sorte que l’autorité de poursuite n’aurait pas d’intérêt à agir en ce sens (c. 2.4).
Le TF constate à cet égard qu’il ne semble pas impossible qu’une prise de connaissance inopinée des données puisse avoir lieu sans pour autant qu’une infraction ne soit commise, qu’elle ne soit pas nécessairement reconnaissable pour le prévenu et les autorités pénales, et qu’elle puisse procurer à l’autorité d’enquête un avantage illicite dans la procédure. La finalité de la procédure de scellés consiste précisément, eu égard aux droits fondamentaux et procéduraux du prévenu, à exclure toute possibilité pour l’autorité de poursuite de prendre connaissance des données saisies avant qu’un tribunal ne se prononce sur l’admissibilité de l’accès auxdites données. Il s’ensuit que la pratique du TPF n’est pas à même de respecter de telles garanties procédurales (c. 2.5).
Notre Haute Cour observe toutefois que cela ne signifie pas qu’une copie forensique soit eo ipso inadmissible. Dite copie ne doit cependant pas être ordonnée par l’autorité de poursuite ou confiée à une personne ou une autorité mandatée par elle. Si une demande de mise sous de scellés est formée, les appareils électroniques concernés doivent être immédiatement scellés. En tant qu’une copie forensique des données s’avère appropriée pour la suite de la procédure afin d’éviter leur perte ou pour d’autres motifs, l’autorité de poursuite doit, après avoir apposé les scellés sur les supports de données, déposer une demande en vue de l’exécution d’une copie forensique auprès du tribunal des mesures de contrainte ou du TPF (selon que la procédure est régie par le CPP ou par la DPA) (c. 2.6).
Cette demande peut également être effectuée en même temps que la demande de levée des scellés. Le tribunal pourrait également ordonner d’office une copie forensique s’il l’estime nécessaire ou pour éviter le reproche éventuel de manipulation des données. Il pourrait mandater à cet effet une autorité spécialisée ou des professionnels privés, tout en veillant à ce que l’autorité de poursuite ne soit en aucun cas impliquée dans le déblocage et la mise sous scellés et qu’elle n’ait aucune possibilité d’accéder aux fichiers se trouvant sur les appareils saisis, jusqu’à la décision de levée des scellés (c. 2.6).
Le TF relève qu’en l’espèce, les trois appareils informatiques en question se trouvaient, après réception de la demande de mise sous scellés du 14 septembre respectivement du 17 septembre 2020, vierges de tout scellé jusqu’au 5 novembre 2020. Pendant cette période, lesdites données étaient en mains de l’AFD, respectivement de fedpol, laquelle avait été chargée par l’AFD du déblocage, de la copie forensique et de la mise sous scellés et était donc liée par ses instructions (c. 3.2).
Quand bien même il est possible que l’autorité de poursuite n’ait pas accédé aux données avant la mise sous scellés du 5 novembre 2020, un tel accès illicite ne saurait être d’emblée exclu. En effet, en raison du rapport de mandat entre les deux autorités fédérales, il existait nécessairement une étroite collaboration entre elles. Il n’est ainsi possible ni au TPF ni au TF de contrôler qui a eu accès aux supports de données, respectivement quand et dans quelles circonstances un tel accès a eu lieu. Une telle incertitude n’est pas compatible avec une procédure conforme aux principes de l’Etat de droit. Certes, le recourant n’a pas été en mesure de prouver que l’autorité de poursuite avait effectivement pu accéder de manière anticipée aux données de ses appareils informatiques. Cela étant, selon le TF, l’on ne saurait faire supporter le fardeau de la preuve au recourant, s’agissant de faits qui concernent l’autorité. Il est dès lors suffisant que, suite à la demande de mise sous scellés, l’AFD en tant qu’autorité de poursuite ait disposé de la possibilité d’un accès anticipé, ce qui est suffisamment étayé dans le cas d’espèce sur la base des circonstances concrètes entourant les démarches de l’autorité (c. 3.2).
Il s’ensuit que la procédure prescrite par le TPF et suivie dans la présente espèce par l’AFD n’est pas conforme à la réglementation légale. Les supports de données auraient dû être immédiatement mis sous scellés et remis au TPF, qui aurait pu ensuite ordonner le déblocage et, si nécessaire, l’exécution de la copie forensique et la nouvelle mise sous scellés jusqu’à la décision de levée des scellés. Le TF souligne que ces tâches techniques auraient pu le cas échéant être confiées par le TPF à fedpol, dès lors que cette dernière n’est pas autrement impliquée dans le dossier comme autorité de poursuite et que fedpol aurait dans ce cas été soumise exclusivement aux instructions du TPF et serait restée indépendante de l’AFD (c. 3.4).
Le TF se pose ensuite la question des conséquences qui découlent de l’approche illicite de l’autorité intimée sur la suite de la procédure et notamment sur l’exploitabilité des données litigieuses comme moyens de preuve. Le TF souligne à cet égard que l’AFD s’est certes conformée à la pratique – inadmissible et contraire au droit fédéral – du TPF, respectivement à ses directives concernant la procédure à suivre en présence d’une demande de scellés portant sur des supports de données électroniques. Cela étant, dans la mesure où il s’agit d’une erreur de procédure importante, un renvoi aux instances précédentes pour répéter la procédure de scellés conformément aux exigences légales est selon le TF exclu, le vice de procédure n’étant plus à même d’être corrigé (c. 4.2).
Notre Haute Cour considère que l’illégalité de l’approche suivie par les autorités dans la présente procédure est si grave que l’on ne voit pas comment les données contenues dans les appareils électroniques du recourant pourraient encore être exploitables (c. 4.2).
Sur le vu de ce qui précède, le TF annule la décision entreprise et ordonne la restitution des trois appareils électroniques saisis et la destruction des copies forensiques réalisées, soulignant au demeurant que la procédure pénale administrative devra suivre son cours sans les données litigieuses (c. 5).
Nous ne pouvons que saluer cette clarification bienvenue du TF, qui dénonce – à juste titre – la pratique du TPF, qui s’inscrivait jusqu’à présent hors de tout cadre légal. La procédure à suivre s’agissant de la mise sous scellés et l’exécution de la copie forensique décrite par le TF nous paraît conforme aux réquisits légaux en la matière. D’ailleurs, la portée de cet arrêt du TF n’est pas limitée aux procédures de droit pénal administratif; ses considérants ont également vocation à s’appliquer aussi aux affaires soumises au CPP, lorsque la copie forensique des données sous scellés est réalisée par ou sous la direction de l’autorité de poursuite, au lieu du tribunal des mesures de contrainte.
Cet arrêt de principe du TF permet également de prendre une nouvelle fois la mesure de l’importance que revêt l’institution des scellés en tant que moyen d’opposition à la perquisition de données par l’autorité de poursuite. Cette dernière ne doit en aucun cas avoir accès, ni même être mise en état d’accéder au contenu des données sous scellés, avant droit définitivement jugé sur le principe et l’étendue de leur éventuelle levée.
Une dernière réflexion qui mérite d’être mentionnée ici a trait aux conséquences de cette jurisprudence de principe sur les procédures de scellés qui ne sont plus pendantes car déjà closes par une décision concluant à leur levée totale ou partielle, dans lesquelles les autorités ont suivi la pratique – illégale – instaurée par le TPF et désormais clairement dénoncée par le TF. Compte tenu de la gravité des vices qui entachent cette pratique et de l’inexploitabilité absolue qui en résulte s’agissant des moyens de preuve concernés (cf. c. 4.2 et 5 de l’arrêt ici signalé), il nous apparaît que ces effets devraient également pouvoir être invoqués dans les affaires où les données litigieuses ont d’ores et déjà été libérées par le juge des scellés en mains de l’autorité de poursuite. En effet, ce qui paraît décisif, à l’aune de l’arrêt 1B_432/2021, ce n’est pas en tant que tel l’existence d’un motif d’opposition à la perquisition ou au séquestre qui sous-tendait la demande de mise sous scellés, mais bien le caractère équitable (dans le sens d’un « fair trial ») de la procédure suivie par le juge des scellés et la mise en œuvre de modalités pratiques qui ont pu, même abstraitement, offrir à l’autorité de poursuite un droit de regard illégitime et prématuré sur le contenu des données scellées, avant droit définitivement jugé quant à leur éventuelle levée.
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Dylan Frossard, Mise sous scellés et copie forensique de données informatiques: la pratique du TPF désavouée par le TF, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 21 mars 2022
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