Séquestre de documents – secret professionnel du notaire – limitation de la protection à la « correspondance » relevant de l’activité typique
Par arrêt du 25 juillet 2019, consultable sous le lien https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://25-07-2019-1B_158-2019&lang=fr&zoom=&type=show_document, le Tribunal fédéral (TF) a été amené, en bref, à se prononcer sur la validité du séquestre d’un document en format électronique saisi par l’Administration fédérale des contributions (AFC) au domicile d’un particulier, document correspondant substantiellement à celui que l’AFC avait par ailleurs saisi auprès d’un notaire et qui était couvert par le secret professionnel (art. 46 DPA).
Dans le cadre de l’enquête de droit pénal administratif menée par l’AFC, le Directeur de cette administration avait ordonné diverses perquisitions en juin 2015, dont l’une, exécutée dans les bureaux de l’avocat-notaire Me B., avait débouché en décembre 2016 sur une décision du Tribunal pénal fédéral (TPF), aux termes de laquelle les documents contenant des dispositions pour cause de mort étaient protégés par le secret professionnel du notaire, s’opposant à leur séquestre. Ils devaient ainsi lui être restitués (BV.2016.21 du 12 décembre 2016). Lors d’une perquisition intervenue en parallèle, en juin 2015, l’AFC avait saisi des fichiers électroniques au domicile du prévenu A. L’un de ces fichiers, daté du 10 octobre 2012, était intitulé « Disposizioni testamentarie ». Dans ce contexte et en se basant sur sa décision du 12 décembre 2016, le TPF, avait admis par décision BV.2018.29 du 26 février 2019 la plainte formée par A. et ordonné la restitution du document litigieux. En effet, le TPF avait estimé que le secret professionnel du notaire était protégé par l'art. 46 al. 3 DPA, indépendamment du lieu où les documents étaient découverts et, ce, même s'il ne s'agissait que de la copie d'un document identique déposé chez le notaire (voir à ce sujet la contribution de Garbarski/Gauderon du 20 mars 2019 sur ce blog).
C’est la décision précitée du 26 février 2019, attaquée par l’AFC, qui est à l’origine de l’arrêt du TF ici rapporté.
Le TF confirme tout d’abord (c. 2.1) que la protection conférée au secret professionnel du notaire s’étend également au séquestre de documents (art. 46 al. 3 DPA), quand bien même ce type de secret, contrairement à celui de l’avocat, n’est mentionné que dans la disposition légale consacrée à la perquisition qui intervient généralement en amont (art. 50 al. 2 DPA).
Le TF relève ensuite l’existence d’une différence rédactionnelle entre les art. 46 al. 3 et 50 DPA, d’une part, et l’art. 264 al. 1 CPP, dans la mesure où seul ce dernier précise que les restrictions au séquestre qu’il énonce valent « quels que soient l’endroit où [les documents] se trouvent et le moment où ils ont été conçus ». Notre Haute Cour n’en tire aucune conclusion, vu ce qui suit, mais elle s’interroge néanmoins quant au motif d’une telle omission dans le cadre de la DPA, alors même que le législateur avait pour objectif, avec les modifications adoptées en 2013, une harmonisation « transversale » des dispositions légales sur le secret professionnel.
Sur le fond, le TF considère que le document saisi par l’AFC au domicile du recourant ne saurait bénéficier de la même protection, au titre du secret professionnel du notaire, que le testament olographe déposé et précédemment saisi en l’étude de l’avocat-notaire (c. 2.2). Selon le TF, même la protection élargie instituée à l’art. 264 al. 1 CPP ne saurait porter que sur la « correspondance », respectivement les « contacts » (selon les termes de l’art. 46 al. 3 DPA) avec l’avocat ou le notaire, par quoi il faut entendre « la correspondance au sens classique (lettres et courriers électroniques) mais aussi les notes prises par l’avocat, les expertises juridiques faites avant une procédure, les procès-verbaux d’entretien, les documents stratégiques, les projets de contrat ou d’arrangement, etc. ». En revanche, dès lors le secret professionnel vise principalement à préserver la relation entre le mandat et son mandataire, « il ne saurait être invoqué pour s’opposer systématiquement à une saisie de document au seul motif que celui-ci s’est trouvé en mains du défenseur, respectivement du notaire » (c. 2.3 et la jurisprudence citée).
Etant donné qu’en l’espèce, le testament olographe aurait été simplement déposé auprès du notaire, sans autre implication ni conseils juridiques entourant son élaboration et sans même que le notaire n’ait apparemment connaissance de son contenu, le TF aboutit à la conclusion que le document saisi au domicile du prévenu – pour rappel, un fichier électronique, non signé – ne saurait être assimilé ni à une correspondance entre le notaire et son client dont ce dernier aurait par hypothèse conservé une copie, « ni à une annexe établie spécifiquement dans le cadre de conseils sollicités auprès du notaire dans ses fonctions pour lesquelles le secret est protégé » (c. 2.4).
Pour tous ces motifs, le TF estime que le document litigieux pouvait être séquestré par l’AFC et, partant, admet le recours interjeté par cette autorité.
L’arrêt du TF du 25 juillet 2019 ici rapporté n’appelle pas de commentaire particulier, en tant qu’il nous semble refléter fidèlement la volonté du législateur, telle qu’exprimée à l’occasion de l’adaptation des dispositions de procédure relatives au secret professionnel (FF 2011, 7509 ss). En effet, il ressort notamment du Message du Conseil fédéral publié le 26 octobre 2011 que l’un des critères décisifs pour déterminer si un document tombe dans le champ de protection du secret professionnel est de savoir s’il s’inscrit dans le cadre de l’activité typique de l’avocat (FF 2011, 7512), respectivement du notaire. Si la réponse à cette question est affirmative, le secret professionnel fait en principe obstacle à son séquestre, indépendamment du lieu où se trouve le document en cause et l’identité de son auteur (avocat/notaire, client, tiers). En revanche, si l’avocat ou le notaire (comme en l’espèce) joue exclusivement le rôle de dépositaire d’un document qui lui a été confié par un client, sans que ledit document ne soit par ailleurs lié à, ni le résultat de l’exercice d’une activité typique (conseil juridique, etc.), il n’existe pas de motif valable permettant de s’opposer à la saisie de la copie (cas échéant en format électronique) que détiendrait, par hypothèse, le prévenu.
En ce qui concerne la discrépance rédactionnelle évoquée ci-dessus entre les dispositions topiques de la DPA (art. 46 al. 3 et art. 50 DPA) et l’art. 264 al. 1 CPP, seul ce dernier comportant la précision selon laquelle l’interdiction du séquestre s’applique « quels que soient l’endroit où [les documents] se trouvent et le moment où ils ont été conçus », il s’agit à notre avis d’une omission involontaire du législateur. En effet, le Message du Conseil fédéral relatif à l’adaptation des dispositions de procédure traitant du secret professionnel mentionne clairement que l’art. 46 al. 3 DPA (nouvelle mouture) « reprend le contenu de l’art. 264, al. 1, let. a et d, CPP » (FF 2011, 7516), ce qui inclut ainsi la double dimension géographique et temporelle de la protection du secret professionnel. Le Message y fait également référence en lien avec l’art. 42 al. 2, LCart, puisqu’il indique que « […] l’interdiction de séquestrer les objets et les documents concernant des contacts entre une partie ou un tiers et son avocat, quel que soit le moment où ils ont été produits et le lieu où ils se trouvent, s’appliquera aussi aux procédures relevant du droit des cartels (art. 42, al. 2, LCart en relation avec l’art. 46, al. 3, DPA » (FF 2011, 7514). Quand bien même le texte de l’art. 42 al. 3 LCart se contente de renvoyer aux art. 46 à 50 DPA s’agissant de la perquisition et du séquestre, il ne fait aucun doute que, dans le domaine de la concurrence aussi, la protection du secret professionnel s’applique indépendamment du moment de sa création et indépendamment du lieu où la correspondance se trouve (cf. Note du Secrétariat de la COMCO du 6 janvier 2016, Sélection d’instruments d’enquête, ch. 23 ; CR LCart, Bovet/Sabry, art. 42 LCart N 113).
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Joséphine Schwab, Séquestre de documents – secret professionnel du notaire –protection limitée à la « correspondance » relevant de l’activité typique, in : http://www.verwaltungsstrafrecht.ch du 14 août 2019
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