Compétence de la direction de la procédure pour statuer sur la qualité de partie à une procédure de levée des scellés ?
Le Tribunal fédéral (TF) a récemment mis en ligne l’arrêt 1B_520/2019 du 15 avril 2020 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://15-04-2020-1B_520-2019&lang=de&zoom=&type=show_document). Cet arrêt s’inscrit dans le cadre d’une enquête pénale administrative menée par l’Administration fédérale des contributions (AFC), au cours de laquelle des perquisitions ont été exécutées et des documents saisis placés sous scellés. La recourante, une société tierce non-détentrice des données saisies, s’est manifestée auprès de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) et a requis l’accès au dossier de la procédure de levée des scellés, respectivement la faculté d’y participer, notamment en se déterminant sur la requête de levée des scellés de l’AFC, motif pris que la documentation sous scellés contiendrait « de nombreux documents couverts par un secret dont elle est personnellement titulaire ».
Par ordonnance du 19 septembre 2019 (BP.2019.70), le Juge rapporteur de la Cour des plaintes a déclaré irrecevable la requête de la recourante « tendant à avoir accès au dossier et aux documents placés sous scellés », considérant, en bref, qu’elle avait été formée tardivement et de manière insuffisamment motivée s’agissant des secrets professionnels ou commerciaux à protéger.
Aux termes de son arrêt du 15 avril 2020, le TF a déclaré irrecevable le recours en matière pénale interjeté par la société susvisée contre l’ordonnance du Juge rapporteur de la Cour des plaintes, faute d’être dirigé à l’encontre d’une décision pour laquelle le recours en matière pénale au TF aurait été ouvert.
Le TF rappelle ainsi qu’en principe, le recours en matière pénale n’est ouvert qu’à l’encontre des décisions (portant sur des mesures de contrainte) prises par la Cour des plaintes in corpore, à l’exclusion des prononcés rendus par son Juge rapporteur. En l’espèce, le Tribunal fédéral a examiné la compétence de ce magistrat pour statuer sur la requête d’accès aux pièces placées sous scellés, dans la mesure où la recourante a contesté ce point (c. 1.2).
A ce sujet, le TF constate que la Cour des plaintes était bien compétente, en application de l’art. 50 al. 3 3ème phrase cum art. 25 al. 1 DPA, pour statuer sur la demande de levée des scellés déposée par l’AFC. Les dispositions relatives à la procédure de plainte (art. 26 ss DPA) ne s’appliquant pas à la procédure de levée de scellés, celle-ci est régie par l’art. 50 al. 3 DPA ainsi que par les dispositions du CPP, applicables par analogie (c. 1.2.1 et références citées).
En outre, selon le TF, l’art. 61 let. c CPP prévoit que le président d’un tribunal collégial est l’autorité investie de la direction de la procédure. La direction de la procédure est compétente pour se prononcer sur les requêtes relatives notamment au droit d’accès au dossier (art. 102 CPP) (c.1.2.2). Or, en l’absence de disposition spécifique sur la compétence de l’autorité appelée à statuer – notamment préalablement aux débats – sur une requête d’accès au dossier, le TF estime que les art. 62 al. 1 et 2, 102 et 109 CPP sont applicables par analogie dans la procédure de levée des scellés, si bien que le Juge rapporteur, en tant que direction de la procédure d’une autorité collégiale, était bien compétent pour statuer sur la demande d’accès au dossier de la recourante (c. 1.2.3).
Partant, le recours en matière pénale de la société n’étant pas dirigé contre une décision de la Cour des plaintes rendue in corpore, le TF a conclu à son irrecevabilité (c. 1.3).
La conclusion à laquelle aboutit l’arrêt du TF ici commenté et le raisonnement qui le sous-tend ne manquent pas de surprendre et nous paraissent juridiquement erronés. En effet, ainsi qu’il découle du résumé de l’état de fait, en l’espèce la société recourante n’a pas seulement requis l’accès au dossier de la procédure de levée des scellés par-devant le TPF, mais également le droit d’y participer en tant que tiers, dont les intérêts juridiques sont potentiellement touchés par la documentation placée sous scellés.
Or, la qualité de partie à une procédure de levée des scellés ou encore la recevabilité d’une demande de mise sous scellés, notamment lorsqu’elle est adressée par un tiers à l’autorité en charge du tri judiciaire, sont des questions de fond dans le contexte particulier de la procédure de levée des scellés et relèvent du tribunal in corpore, et non pas de la direction de procédure aux termes de l’art. 62 CPP. Ainsi, il appartient toujours à l’autorité saisie de trancher in corpore la question de la qualité de partie à une procédure de levée des scellés. Cela est le cas à la fois lorsque le litige est soumis à l’autorité de recours, dans le contexte d’un refus, par un ministère public, de reconnaître à un tiers le droit de requérir les scellés ; cela sera aussi le cas, lorsqu’une demande de levée de scellés est d’ores et déjà pendante devant une autre autorité judiciaire : le tribunal saisi de la cause au fond en application de l’art. 248 al. 3 let. b CPP ou, plus souvent, le Tribunal des mesures de contrainte (TMC). Que, dans cette dernière hypothèse, le TMC soit en général constitué d’un juge unique (ou que le tribunal du fond soit lui aussi composé d’un juge unique) n’y change rien : il statue toujours in corpore, soit dans la composition correcte, légalement établie, de cette autorité. Tel n’est à l’évidence pas le cas du seul président ou du juge rapporteur de la Cour des plaintes du TPF, juridiction collégiale, qu’elle intervienne comme autorité de recours (CPP) ou de plainte (DPA), ou comme juge de la levée des scellés en application de l’art. 50 al. 3 3ème phrase cum art. 25 al. 1 DPA.
En vérité, l’arrêt du TF 1B_520/2019 ne traite d’ailleurs que de la requête d’accès au dossier de la procédure de levée des scellés qu’il analyse à l’aune des art. 62, 102 et 109 CPP, mais passe totalement sous silence la demande – distincte – de la société recourante (et les griefs que celle-ci, à teneur de l’arrêt, a manifestement soulevés à et égard), visant à pouvoir participer par-devant le TPF au tri des données placées sous scellés, en tant que tiers touché dans ses intérêts juridiques. Le non-traitement de cette demande distincte est d’autant plus surprenant que le droit du justiciable à ce que sa cause soit tranchée par une autorité composée conformément aux dispositions légales découle directement de l’art. 6 § 1 CEDH et de l’art. 30 al. 1 Cst. Or, tel ne semble pas avoit été le cas en l’espèce, ce qui constituait un vice allégué sérieux, sur lequel, à l’évidence, le TF aurait dû se prononcer.
En outre, en examinant la jurisprudence récente, on constate que dans les autres affaires où le TPF a dénié la qualité de partie à la procédure de levée de scellés, typiquement à un tiers, cette question a toujours été tranchée – à juste titre – par la Cour des plaintes in corpore (voir par exemple BE.2018.3 du 13 septembre 2018), ce qui a ensuite ouvert la voie du recours en matière pénale à l’intéressé qui entendait contester la décision prise et se voir reconnaître la qualité de partie (TF, 1B_487/2018 du 2 juin 2019).
De la même façon, lorsque le TPF se prononce sur la recevabilité de la demande de levée des scellés dont il est saisi par une autorité fédérale, il s’agit d’une décision rendue par le tribunal in corpore et non par le juge rapporteur en sa qualité de direction de la procédure (voir par exemple TPF, BE.2018.12 du 22 janvier 2019 ; BE.2017.4, BE.2017.6, BE.2017.9 des 19/25 octobre 2017), de sorte à aménager, là aussi, la possibilité pour l’administration concernée de contester la décision par la voie d’un recours en matière pénale (TF, 1B_91/2019 du 11 juin 2019).
Vu ce qui précède, il y a lieu d’espérer que l’ordonnance du Juge rapporteur du TPF du 19 septembre 2019 et, a fortiori, l’arrêt du TF 1B_520/2019 constituent une erreur de parcours et que le TPF reviendra rapidement à sa pratique habituelle s’agissant des modalités de traitement des demandes de mise sous scellés ou de participation à la procédure de levée des scellés émanant typiquement de tiers non-détenteurs.
Proposition de citation : Alain Macaluso/Andrew Garbarski/Nathalie Aymon, Compétence de la direction de la procédure pour statuer sur la qualité de partie à une procédure de levée des scellés ?, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 19 mai 2020
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