Légitimation active pour requérir la mise sous scellés en procédure pénale administrative
Le Tribunal fédéral ("TF") a récemment mis en ligne l'arrêt 7B_99/2022 du 28 septembre 2023 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=7b_99%2F2022&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F28-09-2023-7B_99-2022&number_of_ranks=99), rendu en matière de scellés en marge de mesures spéciales d'enquêtes conduites par l'AFC en rapport à des soupçons de graves infractions fiscales. Bien que non destiné à publication, cet arrêt mérite néanmoins d'être signalé ne serait-ce que parce qu'il concerne un cas rare dans lequel un recours a été admis.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, précisons qu'un arrêt similaire a été rendu à la même date contre d'autres recourants dans une affaire parallèle, 7B_98/2022 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=7b_98%2F2022&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F28-09-2023-7B_98-2022&number_of_ranks=25).
Pour mémoire, en cas de soupçons de commission de graves infractions fiscales au sens de la LIFD, le Département fédéral des finances peut autoriser l'Administration fédérale des contributions ("AFC") à mener une enquête en collaboration avec les administrations fiscales cantonales (art. 190 al. 1 LIFD). La procédure est alors réglée par les art. 19 à 50 DPA (art. 191 al. 1 LIFD).
Dans le cadre de telles mesures d'enquêtes, l'AFC a ordonné à six banques de produire l'ensemble de la documentation d'ouverture de comptes actifs entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2015, pour lesquels A. (personne physique) apparaissait comme titulaire du compte, ayant droit économique ou signataire.
A., ainsi qu'une autre personne physique (B.) et plusieurs personnes morales (notamment C. SA et D. SA) se sont opposées à la perquisition de la documentation ainsi obtenue, au motif qu'elle incluait des documents relatifs à leurs comptes bancaires. Par deux décisions séparées, le fonctionnaire-enquêteur au sein de l'AFC a dénié à l'ensemble de ces personnes la légitimation de requérir les sellés, au motif qu'aucun intérêt au maintien du secret n'avait été établi. Sur plainte, le directeur de l'AFC a confirmé cette décision et transmis le dossier au Tribunal pénal fédéral ("TPF") comme objet de sa compétence (cf. art. 26 al. 3 DPA).
Par décision du 14 juillet 2022, la Cour des plaintes du TPF a elle aussi rejeté les plaintes au motif que les recourants n'avaient pas concrètement désigné les documents à écarter, respectivement à caviarder. La Cour des plaintes ne pouvait en outre accéder aux documents que l'AFC avait provisoirement mis sous scellés.
A., B., C. SA et D. SA ont interjeté recours en matière pénale auprès du TF en demandant l'annulation de la décision entreprise et la conduite d'une procédure de scellés en les incluant comme parties. Le Tribunal fédéral a admis le recours et annulé la décision de l'instance précédente.
En substance, le Tribunal fédéral a retenu que, conformément à sa jurisprudence, le droit de requérir les scellés s'étendait au-delà du "détenteur" (art. 50 al. 3 DPA, cf. art. 248 al. 1 CPP) et incluait aussi toute personne disposant d'un intérêt juridique au maintien des scellés. Tel est notamment le cas du titulaire d'un compte bancaire dont la documentation est saisie par l'autorité de poursuite. Les scellés doivent être apposés dès lors que, selon les affirmations de l'intéressé, il existe des motifs s'opposant à la perquisition, la question de savoir si ces motifs existent véritablement ou si l'intérêt à la poursuite pénale l'emporte devant être tranchée à l'occasion de la procédure de levée des scellés.
En l'espèce, les recourants avaient allégué être titulaires de comptes auprès des établissements bancaires visés par l'ordre de dépôt. L'instance précédente n'avait pu infirmer cette allégation, si bien que les recourants étaient légitimés à requérir les scellés (art. 50 al. 3 2e phrase DPA). Le TPF aurait dû d'office engager une procédure de levée des scellés et statuer sur leur bien-fondé, en admettant les recourants comme parties à cette procédure. En déniant leur légitimation à requérir les scellés sans conduire de procédure de levée des scellés, le TPF a violé le droit.
Cet arrêt est intéressant car il confirme que la procédure de scellés, respectivement de levée des scellés ne peut être contournée par l'autorité pénale en déniant aux personnes intéressées la légitimation active au motif qu'elles n'auraient pas suffisamment spécifié quels documents doivent être écartés ou caviardés. Le tri des documents est en effet l'objet de la procédure de levée des scellés elle-même.
L'arrêt du TF ici signalé rappelle en outre que lorsque celui qui requiert les scellés n'est pas le détenteur des documents concernés, il doit rendre vraisemblable dans sa requête qu'il dispose de la légitimation active. Pour le titulaire d'un compte bancaire, cela nécessité de rendre vraisemblable que des documents concernant sa propre relation bancaire sont concernés.
A titre de conclusion, rappelons que la révision du CPP qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024 (RO 2023 468, "nCPP") apportera diverses modifications concernant les scellés. Il est notamment prévu que lorsque l'autorité s'aperçoit que le détenteur n'est pas l'ayant droit, elle devra informer d'office ce dernier, lequel disposera d'un délai de trois jours pour requérir les scellés (art. 248 al. 2 nCPP). De même, la procédure de levée des scellés sera plus précisément réglée et soumise à davantage des délais, dans le but de mieux encadrer son déroulement et raccourcir sa durée (art. 248a nCPP).
Ces changements auront sans doute une incidence également en droit pénal administratif puisque, selon la doctrine et la jurisprudence constante, le CPP est applicable par analogie ("sinngemäss") aux procédures régies par la DPA s'agissant des questions que celle-ci ne règle pas exhaustivement. Il reste cependant à voir si l'avant-projet de révision du DPA, qui devrait être mis en consultation en décembre prochain (https://www.fedlex.admin.ch/fr/consultation-procedures/foreseen#https://fedlex.data.admin.ch/eli/dl/proj/2022/20/cons_1), comportera des règles spécifiques appelées à primer celles du nCPP dans le domaine des scellés.
Proposition de citation: Andrew Garbarski / Louis Frédéric Muskens, Légitimation active pour requérir la mise sous scellés en procédure pénale administrative, in: www.verwaltungsstrafrecht.ch du 14 novembre 2023
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