Procédure de levée de scellés – secret professionnel de l’avocat – portée de l’activité typique
A l’heure où le secret professionnel de l’avocat subit des attaques de toute part, comme en témoigne notamment l’avant-projet de révision de la LBA publié le 1er juin 2018, lequel a suscité – à juste titre – la consternation au sein de la profession (voir à ce sujet les contributions parues dans les livraisons 9/2018 et 10/2018 de la Revue de l’Avocat), l’arrêt du Tribunal fédéral (« TF ») 1B_264/2018 du 28 septembre 2018, diffusé ce jour (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://28-09-2018-1B_264-2018&lang=fr&zoom=&type=show_document), tombe à point nommé.
Marquant l’aboutissement d’une procédure de levée de scellés initiée en septembre 2017 par l’Administration fédérale des contributions (« AFC »), dans le cadre d’une enquête spéciale de droit pénal administratif qu’elle mène depuis juin 2017 contre un homme de loi et son épouse pour des soupçons de graves infractions fiscales (usage de faux, soustraction d’impôt, tentative de soustraction d’impôt), l’arrêt 1B_264/2018 comporte un certain nombre de rappels bienvenus quant à la portée du secret professionnel de l’avocat, en tant que motif d’opposition à la perquisition et au séquestre de documents ou données, notamment informatiques, par l’autorité de poursuite pénale (art. 50 al. 2 DPA).
Le TF rappelle tout d’abord que le secret professionnel ne couvre que l’activité dite typique (ou spécifique) de l’avocat, à l’exclusion donc de l’activité atypique, telle que l’administration de sociétés, la gestion de fortune ou l’exécution d’un mandat de recouvrement. Cela étant, l’activité typique comprend non seulement la rédaction de projets d’actes juridiques, l’assistance et la représentation d’une personne devant les autorités administratives ou judiciaires, mais aussi – et cela est parfois ignoré dans la pratique – l’activité de conseil, y compris en matière fiscale, de gestion du patrimoine et/ou lors de l’organisation de sa succession (TF 1B_264/2018, c. 2.1, avec référence à un arrêt 1B_486/2017 du 10 avril 2018, c. 3.2).
Par ailleurs, dans le champ de l’activité typique de l’avocat, le secret professionnel jouit d’une protection large, ce qui s’explique par le rapport de confiance particulier qui lie l’avocat et son client, lequel doit pouvoir se fier totalement à la discrétion de son mandataire. Ainsi, outre les documents ou conseils émis par l’avocat lui-même, le secret professionnel s’étend à toutes les informations, faits et documents confiés par le client qui présentent un rapport certain – qui peut être fort ténu – avec l’exercice de la profession d’avocat. Cela inclut l’existence même du mandat confié à l’avocat, ses notes d’honoraires ainsi que les confidences faites par le client en raison des compétences professionnelles du mandataire. A noter toutefois que, selon la jurisprudence, « la transmission à titre de simple copie d’un courrier à un avocat ne suffit pas pour considérer que l’écriture en cause serait également protégée » (pour le tout, voir TF 1B_264/2018, c. 2.1).
Compte tenu de ce qui précède et contrairement à ce qu’avait retenu le Tribunal pénal fédéral, le TF estime qu’en l’espèce, l’activité de conseil déployée par le recourant en amont de la constitution de sociétés pour le compte de ses clients relève « sans équivoque » de l’activité typique. Le fait que le recourant soit principalement actif dans l’administration de sociétés offshore (au nombre de 912 selon l’arrêt) n’y change rien. Selon le TF, le choix d’une forme juridique donnée et/ou du lieu du siège implique en effet que le mandant soit renseigné par son avocat sur les différentes possibilités existantes, leurs avantages et inconvénients (notamment du point de vue des risques juridiques) et l’avocat est tenu, lors de cet examen, de prendre en compte en toute indépendance d’éventuels impératifs découlant du droit des sociétés, du droit fiscal, du droit matrimonial, du droit successoral ou du droit international (c. 2.2).
En revanche, s’agissant de la phase ultérieure de mise en œuvre de la solution retenue par les clients de l’avocat, savoir les démarches de constitution des sociétés par l’avocat ou son étude, le TF considère que les pièces y relatives ne sauraient bénéficier de la protection du secret professionnel de l’avocat, notamment parce que de telles pièces n’auraient pas vocation à rester en mains de l’avocat et/ou de son client, mais seraient au contraire destinées à être transmises aux services administratifs du lieu du siège choisi pour l’entité à créer, respectivement pour en démontrer l’existence. Le TF fait également grief aux recourants de n’avoir pas démontré en quoi de telles formalités administratives nécessiteraient des connaissances particulières d’un avocat, « notamment des compétences qu’une banque ou une fiduciaire ne serait pas à même de proposer ». Selon nous, cet argument n’emporte pas la conviction, car le fait que certaines tâches puissent aussi être accomplies par des tiers, par hypothèse non avocats, n’empêche évidemment pas que le secret professionnel de l’avocat s’applique pleinement lorsqu’elles sont exercées par un homme de loi, dans le cadre de l’exercice de l’activité typique.
Quoi qu’il en soit, dans l’affaire portée au TF, nonobstant les développements qui précèdent, notre Haute Cour a finalement totalement écarté l’application du secret professionnel, compte tenu de la qualité de prévenu de l’avocat recourant, d’autant plus que les faits reprochés à ce dernier et à son épouse auraient été commis dans le cadre de l’exercice de l’activité professionnelle du premier cité (c. 2.2 in fine). Le TF ne cite aucune disposition légale, mais il aurait sans doute pu se référer à l’art. 264 al. 1 let. d CPP, a priori applicable par analogie en droit pénal administratif, aux termes duquel le secret professionnel de l’avocat ne saurait s’opposer au séquestre lorsque l’avocat revêt le statut de prévenu dans la même affaire.
Afin de préserver les intérêts de tiers non concernés par l’enquête (typiquement les clients de l’avocat poursuivi), le TF rappelle toutefois qu’il appartient aux autorités d’instruction de prendre les mesures nécessaires au maintien du secret. Concrètement, cela peut notamment se faire par une restriction temporaire du droit d’accès au dossier, le temps pour l’autorité de poursuite d’effectuer son analyse des données (voir TF 1B_18/2016 du 19 avril 2016, c. 3.4), suivi de mesures de protection (par exemple, caviardage) en faveur des tiers dont l’enquête aura permis de démontrer l’absence de lien avec les faits reprochés au prévenu.
Proposition de citation: Andrew Garbarski, Procédure de levée de scellés – secret professionnel de l’avocat – portée de l’activité typique, in: http://www.verwaltungsstrafrecht.ch du 24 octobre 2018
Teilen:
Beitrag kommentieren
Ihr Kommentar wird nach einer Prüfung freigeschaltet.