Procédure de levée des scellés – élargissement aux tiers non-détenteurs, touchés dans leurs intérêts juridiquement protégés
Le Tribunal fédéral (« TF ») a mis en ligne hier un arrêt 1B_487/2018 du 6 février 2019 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://06-02-2019-1B_487-2018&lang=fr&zoom=&type=show_document), rendu dans le cadre d’une procédure de levée des scellés initiée par le Département fédéral des finances (« DFF »). Cette affaire, qui a déjà connu plusieurs rebondissements procéduraux commentés par les soussignés sur ce blog (voir aussi TF, 1B_433/2017 du 21 mars 2018, TF, 1B_453/2018 du 5 février 2019 et l’historique y relaté), s’inscrit en marge d’une enquête pénale administrative menée par le DFF pour infraction à l’art. 9 LBA (violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent, art. 37 LBA).
Ouverte en juin 2016 contre les « personnes responsables de la banque A. », l’enquête est formellement dirigée contre le recourant, en qualité de prévenu, depuis mai 2018. Au stade de la procédure devant le TPF qui a débouché sur la décision querellée du 13 septembre 2018 (BE.2018.3), seule la banque A. était partie, en tant que détentrice des documents – en l’occurrence des rapports d’enquête interne – dont la production avait été ordonnée par le DFF. Le prévenu s’était manifesté auprès du TPF en sollicitant l’accès au dossier et la possibilité de se déterminer sur la requête de levée des scellés du DFF, mais cette faculté lui a été déniée par le TPF, essentiellement au motif que les arguments avancés, lesquels se rapportaient à l’inexploitabilité des rapports d’enquête interne précités, ne relevaient pas de la procédure de levée des scellés mais du juge du fond (BE.2018.3, c. 3.1 et 3.2).
Devant le TF, le recourant se plaignait d’avoir été indûment tenu à l’écart de la procédure de levée des scellés par le TPF. Quand bien même tous les arguments invoqués par le recourant ont été rejetés par le TF, confirmant partant le bienfondé de la décision de l’autorité intimée, les considérants de l’arrêt du TF 1B_487/2018 du 6 février 2019 apportent une clarification bienvenue quant au cercle des personnes légitimées à requérir la mise sous scellés de documents ou données visées par un séquestre dans les procédures soumises à la DPA.
C’est en effet le lieu de rappeler que, de jurisprudence constante (BE.2017.14 du 21 novembre 2017, c. 2.3, avec référence à TPF 2016 55, c. 2.3), le TPF a toujours limité ce cercle au seul détenteur des documents ou données visées, en se fondant sur une interprétation littérale de l’art. 50 al. 3 DPA. L’approche restrictive du TPF n’a pas manqué de faire réagir la doctrine, laquelle a notamment déploré la différence de traitement injustifiée qui en résulte par rapport aux procédures pénales régies par le CPP (Frank, FP 2016, 277 ss; voir aussi la contribution de Macaluso/Garbarski, Perquisition de documents – qualité pour s’y opposer – levée des scellés (art. 50 DPA), in: www.verwaltungsstrafrecht.ch du 18 janvier 2018).
Cela étant, dans ses décisions plus récentes et en particulier à l’appui de la décision querellée du 13 septembre 2018 (BE.2018.3), le TPF semble avoir amorcé un changement de cap, notamment en évoquant l’opportunité pour le juge des scellés d’offrir à d’autres personnes touchées la possibilité de se déterminer sur le sort des documents litigieux (voir aussi BV.2018.24 du 19 décembre 2018, c. 2.2, commenté par Ingold/Frank sur ce blog le 25 janvier 2019).
Dans son arrêt 1B_487/2018 du 6 février 2019, le TF ne discute pas du tout – et ne mentionne d’ailleurs même pas – la pratique restrictive suivie par le TPF jusqu’à récemment en relation avec l’art. 50 al. 3 DPA. Au contraire, se référant exclusivement à la jurisprudence désormais bien établie qu’il a développée à l’aune du CPP, le TF rappelle, en substance, que le cercle des participants à la procédure de levée des scellés n’est pas toujours confiné aux seuls détenteurs des documents ou données. Dans certains cas, ce cercle peut devoir être élargi à des tiers, non-détenteurs, qui disposent d’un intérêt juridiquement protégé au maintien du secret qui s’attache au contenu desdits documents ou données. Cela a plusieurs conséquences pratiques. D’une part, après la mise en sûreté des documents ou données, mais avant leur perquisition, l’autorité de poursuite a l’obligation d’interpeller d’éventuels tiers intéressés qu’elle aurait identifiés, afin de leur permettre de se déterminer sur la perquisition envisagée respectivement de requérir la mise sous scellés (c. 2.3 de l’arrêt). D’autre part, le tiers intéressé qui est informé d’une procédure de levée des scellés déjà pendante doit se manifester auprès du juge des scellés et faire valoir ses droits sans tarder, notamment s’il peut se prévaloir d’un intérêt propre au maintien du secret (c. 2.4).
Dans l’affaire portée au TF, le recourant faisait principalement valoir son statut de prévenu dans la procédure menée par le DFF et la violation du principe nemo tenetur qui résultait d’une exploitation des rapports d’enquête interne, ce qui n’est pas un motif suffisant d’opposition au séquestre ou à la perquisition (ATF 142 IV 207, c. 8-9).
Cela étant, en transposant à la DPA la jurisprudence développée ces dernières années sous l’angle du CPP et en admettant ainsi que des tiers non-détenteurs des documents ou données édités ou séquestrés puissent être aussi légitimés à requérir leur mise sous scellés, respectivement à participer à la procédure relative à leur levée, s’ils disposent d’un intérêt juridiquement protégé au maintien du secret, l’arrêt 1B_487/2018 du 6 février 2019 marque un tournant qui doit être salué. Ainsi que nous avions déjà eu l’occasion de le relever sur ce blog (voir la contribution des soussignés du 18 janvier 2018), les scellés ayant pour finalité de protéger les secrets légitimes, c’est au premier chef le maître du secret, avant leur détenteur, qui doit se voir reconnaître le droit de les invoquer et d’en faire assurer la protection procédurale.
Proposition de citation: Andrew Garbarski/Alain Macaluso, Procédure de levée des scellés – élargissement aux tiers non-détenteurs, touchés dans leurs intérêts juridiquement protégés, in: http://www.verwaltungsstrafrecht.ch du 22 février 2019
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