Procédure de levée des scellés - étendue du devoir de collaborer
Le présent signalement porte sur une décision intéressante de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) du 19 juin 2020 (BE.2019.6), qui est accessible ici : https://bstger.weblaw.ch/cache/pub/cache.faces?file=20200619_BE_2019_6.htm&query=BE_2019&ul=de. Un recours ayant été déposé au Tribunal fédéral (TF) contre cette décision, elle n’est pas encore définitive. Elle concerne une procédure de levée des scellés, initiée dans le contexte d’une enquête fiscale spéciale, au sens des art. 190 ss de La loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, menée par l’Administration fédérale des contributions (AFC). En bref, l’AFC avait perquisitionné les locaux de tiers dans le cadre de l’enquête menée contre les opposants. Ces derniers s’étaient opposés à la perquisition des documents saisis par l’AFC, au motif notamment qu’ils étaient couverts par le secret professionnel de l’avocat. Suite à des requêtes de l’AFC visant à la levée des scellés, la Cour des plaintes du TPF avait invité les opposants à décrire, pour chaque document, les intérêts au maintien du secret, ce que les opposants disaient être dans l’impossibilité de faire, en l’absence d’un inventaire détaillé des documents sous scellés.
La décision de la Cour des plaintes du 20 juin 2020 nous paraît mériter ce bref signalement en tant qu’elle comporte un certain nombre de rappels utiles pour le plaideur, comme suit:
- Ont qualité de partie dans la procédure de levée de scellés l’autorité requérante et le détenteur des documents et/ou données placés sous scellés. Le prévenu à la procédure pénale (administrative) ne revêt pas eo ipso la qualité de partie, s’il n’est pas détenteur des documents et/ou données. Peuvent cependant aussi revendiquer la qualité de partie à la procédure de levée des scellés les personnes (y compris le prévenu) qui font valoir un intérêt juridiquement protégé au maintien du secret sur les pièces saisies, notamment en raison d'une atteinte directe, immédiate et personnelle à leurs droits compte tenu de la nature des secrets protégés invoqués. Notamment, celui qui se prévaut du secret professionnel de l’avocat en lien avec des correspondances échangées avec son conseil dispose d’un intérêt juridiquement protégé fondant sa qualité de partie à la procédure de levée des scellés. Celui qui entend se prévaloir de la qualité de partie doit cependant se manifester sans attendre, dès qu'il a connaissance de la procédure de levée des scellés le concernant (c. 1.4 et 1.5.4 et les références citées) ;
- La demande de levée des scellés n’est, en l’état actuel de la législation et de la jurisprudence, soumise à aucun délai en droit pénal administratif, mais elle doit néanmoins respecter le principe de célérité. Le délai de 20 jours prévu par l'art. 248 al. 2 CPP pour la levée des scellés en procédure pénale ordinaire n’est donc pas applicable, mais peut néanmoins, selon le TPF, servir d’indicateur . Le fait que ce délai soit largement dépassé ne signifie par ailleurs pas nécessairement que le principe de célérité a été violé, encore faut-il examiner les circonstances particulières du cas d’espèce. In casu, quand bien même il s’était écoulé un délai d’environ un an et cinq mois à compter des oppositions formulées, le TPF a estimé que le principe de célérité n’avait pas été enfreint, car le nombre de documents saisis était important, une phase de pré-tri avait été aménagée d’entente entre l’AFC et les opposants et l’autorité était restée proactive tout au long de cette période (c. 1.6.3) ;
- Sur le fond, la perquisition implique l’existence de soupçons suffisants de la commission d’une infraction pénale et les documents saisis doivent apparaître potentiellement pertinents pour l’instruction. L'autorité qui statue sur la levée des scellés ne doit pas trancher si l'infraction a été commise, mais seulement vérifier si les soupçons sont précis et objectivement fondés (c. 3.3 à 3.5) ;
- La levée des scellés est exclue s’agissant des documents couverts par le secret professionnel de l'avocat, tel que cela est prévu à l’art. 46 al. 3 DPA. Ce secret protège en outre les documents où qu’ils se trouvent, mais ne couvre que les documents qui se rapportent à l’activité typique de l’avocat, par opposition aux documents qui relèvent d’activités dites atypiques (c. 4.2 à 4.4) ;
- Celui qui se prévaut du secret professionnel de l’avocat (ou de tout autre secret protégé par la loi) pour s’opposer à la levée des scellés a l’obligation de collaborer, en indiquant pour chaque pièce son intérêt au maintien au secret. L’obligation de collaborer n’est pas satisfaite lorsque le secret est invoqué « en bloc », pour un ensemble des documents, sans faire la démonstration pour chaque document individuel. Selon le TPF, il en va de même lorsque les documents concernés se trouvent d’ores et déjà catégorisés, respectivement isolés dans une base de données ad hoc, électronique ou physique. En l’espèce, des documents avaient été regroupés dans une « data room avocats » aux fins de réunir, de manière consolidée, des documents utiles à la défense judiciaire des opposants. Cela étant, le TPF a retenu à cet égard que « les opposants ne peuvent se contenter d’indiquer que l’ensemble des documents se trouvant dans la ‘Data Room Avocats’ sont soumis au secret professionnel ». Encore eut-il qu’ils indiquent, pour chaque document pris individuellement, leur intérêt au maintien du secret, car il ne revient pas au juge des scellés de pallier ce manquement et se livrer à cet exercice à leur place (c. 4.5.4) ;
- Dans cette perspective, lorsqu’un inventaire des pièces mises en sûreté a été établi par l’autorité de poursuite, comme cela semble avoir été le cas en l’espèce, l’opposant devrait, a minima, décrire sommairement les documents couverts par le secret de l’avocat et pour quelle raison (c. 4.6).
En définitive, sans être révolutionnaire, cette décision de la Cour des plaintes du TPF confirme de manière bienvenue que le tiers non-détenteur des documents et/ou données mis en sûreté peut revendiquer la qualité de partie à la procédure de levée des scellés, s’il se prévaut d’un intérêt juridiquement protégé (voir à ce sujet Andrew Garbarski/Alain Macaluso, Procédure de levée des scellés – élargissement aux tiers non-détenteurs, touchés dans leurs intérêts juridiquement protégés, in: http://www.verwaltungsstrafrecht.ch du 22 février 2019).
En toute hypothèse, celui qui invoque un secret légalement protégé pour s’opposer à la levée de scellés doit être conscient qu’il est, selon la jurisprudence, tenu par une obligation étendue de collaboration : il lui appartient en principe de démontrer « pièce par pièce » en quoi consiste le secret protégé (ou tout autre motif d’opposition) dont il se prévaut. Selon le nombre de documents et/ou données concernés, cela peut représenter un exercice particulièrement chronophage et onéreux pour le justiciable. En présence de données électroniques volumineuses, la collaboration que la jurisprudence attend de l’opposant peut devenir matériellement impossible. Afin d’éviter que tout manquement à ce devoir de collaborer soit mécaniquement sanctionné par une levée des scellés, il serait souhaitable, pour rétablir un certain équilibre, éviter la tentation de « fishing expeditions » et favoriser également la célérité qu’appelle la procédure de levée des scellés, que les autorités de poursuite pénale soient plus systématiquement invitées par le juge des scellés à fournir des mots-clés, pour filtrer les données saisies. Nous ignorons la nature des griefs développés par les opposants devant le TF, mais ne manquerons pas de suivre avec intérêt la suite qui sera donnée à leur recours.
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Vera Waldburger, Procédure de levée des scellés - étendue du devoir de collaborer, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 30 octobre 2020
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