Procédure de levée des scellés – secret professionnel du juriste d’entreprise – secret de l’organe de révision
La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (« TPF ») a rendu le 14 janvier 2019 une décision BE.2018.15, accessible sur le lien http://entscheide.weblaw.ch/dumppdf.php?link=14.01.2019_BE.2018.15, laquelle concerne une procédure de levée des scellés. Cette procédure s’inscrit dans le cadre d’une enquête pénale administrative menée par l’Administration fédérale des contributions (« AFC »), en raison de soupçons de soustractions d’impôt anticipé commises dans la gestion d’une société B. SA.
En substance, un enquêteur de la Division affaires pénales et enquêtes de l’AFC avait requis du réviseur, la société A. AG, la production d’un certain nombre de documents relatifs à la révision des comptes de B. SA, ce à quoi A. AG s’était opposée en sollicitant la mise sous scellés de l’ensemble de la documentation annexée à son courrier de réponse.
Entre autres griefs développés devant le TPF pour étayer son opposition à la demande de levée des scellés présentée par l’AFC, A. AG faisait notamment valoir son droit au respect du secret professionnel de l’avocat aux termes de l’art. 50 al. 2 DPA, d’une part, et le secret en lien avec son activité de réviseur, d’autre part (BE.2018.15, c. 2.8).
En ce qui concerne tout d’abord le secret professionnel de l’avocat, il était invoqué par A. AG au motif que certains de ses collaborateurs ayant travaillé sur les mandats relatifs à B. SA étaient titulaires du brevet d’avocat. L’argument est rejeté par le TPF. Certes, le Tribunal fédéral (« TF ») n’a pas encore tranché dans son principe la question de savoir si l’avocat d’entreprise peut invoquer l’art. 321 CP pour se prévaloir du secret professionnel (TF, 1B_101/2008 du 28 octobre 2008, c. 4.2) ; le TPF rappelle cependant que, selon le TF et pour autant que l’on soit en présence d’une activité dite typique, le secret professionnel de l’avocat n’entrerait de toute manière en ligne de compte qu’à la double condition que (i) les informations et documents confiés par l’entreprise à son avocat interne restent dans son seul pouvoir, et (ii) l’avocat d’entreprise soit le seul à avoir la faculté de décider de leur transmission (TF, 1B_101/2008, c. 4.3). Or, dans le cas d’espèce à l’origine de la décision du TPF du 14 janvier 2019, ces exigences n’étaient pas remplies (BE.2018.15, c. 2.8.5).
S’agissant du secret de l’organe de révision, mentionné notamment à l’art. 730b al. 2 CO et à l’art. 321 CP, A. AG faisait valoir qu’il devait pouvoir être invoqué comme motif d’opposition à la levée des scellés, vu le rapport de confiance qui se noue entre celui qui confie le contrôle de sa comptabilité et de sa gestion et le réviseur (BE.2018.15, c. 2.8.6). Le TPF ne partage pas cet avis. Constatant que l’art. 50 al. 2 DPA est muet sur le secret des réviseurs et en l’absence d’autre base légale dans la DPA – applicable à la procédure menée par l’AFC – consacrant expressément la protection de ce secret, le TPF estime que ce dernier ne saurait faire obstacle à la levée des scellés.
De manière générale, la conclusion à laquelle aboutit le TPF sur les deux griefs exposés ci-dessus n’appelle pas de commentaire particulier et doit a priori être approuvée, eu égard à l’état actuel de la législation. La décision du TPF du 14 janvier 2019 ici rapportée met toutefois en évidence les lacunes que présente le droit suisse en matière de protection du secret qui s’attache à l’activité des juristes d’entreprises. Des améliorations sont actuellement à l’étude, notamment en procédure civile (cf. art. 160a de l’avant-projet de révision du Code de procédure civile suisse et le Rapport explicatif du 2 mars 2018 qui s’y rapporte, p. 60 s.; voir aussi sur cette question les développements consacrés par Benoît Chappuis, L’ATF 144 II 147: la fin de la multidisciplinarité des études d’avocats, contribution à paraître dans la RDS). Cela étant, par souci de cohérence et d’égalité de traitement entre justiciables, il serait souhaitable que les réflexions menées soient élargies également au CPP et à la DPA, puisque la question peut se poser en des termes analogues dans ces domaines, a fortiori lorsque, comme c’était le cas dans l’affaire portée au TPF, les informations dont la production est requise par l’autorité de poursuite sont en possession d’une société tierce à la procédure.
En outre et alors même que cette question ne semble pas avoir eu d’influence sur l’issue de la cause soumise au TPF, ce dernier ne rend à notre avis que très imparfaitement compte de la portée de l’art. 264 CPP et des difficultés d’interprétation que soulève cette disposition, qu’il cite pour faire un parallèle avec l’art. 50 al. 2 DPA (BE.2018.15, c. 2.8.4). En effet, le TPF indique – de manière sans doute trop péremptoire – que, « dans le cadre du séquestre en procédure pénale (art. 264 CPP), la doctrine a estimé que seul un avocat autorisé à représenter en justice en vertu de la LLCA est au bénéfice des exceptions instituées à l’art. 264 CPP ».
A rigueur de texte, la protection offerte par l’art. 264 CPP au secret professionnel de l’avocat, en tant que motif d’opposition au séquestre, varie, en réalité, selon que l’on est en présence de documents concernant des contacts entre (i) le prévenu et son défenseur (art. 264 al. 1 let. a CPP), (ii) le prévenu et une (autre) personne ayant le droit de refuser de témoigner en vertu des art. 170 à 173 CPP, si cette personne n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire ou (iii) une autre personne et son avocat, pour autant que ce dernier soit autorisé à représenter en justice en vertu de la LLCA et qu’il n’a pas non plus le statut de prévenu dans la même affaire. Par ailleurs, ainsi que l’ont démontré de manière convaincante certains auteurs (voir en particulier Benoît Chappuis/Alexandre Steiner, Le secret de l’avocat dans le CPP et le CPC: entre divergence et harmonie, Revue de l’avocat 2/2017, 87 ss), les arguments sont nombreux pour soutenir que la référence à la LLCA contenue à l’art. 264 al. 1 CPP (singulièrement à la let. d) n’est pas le reflet d’une volonté du législateur d’exclure les avocats extracommunautaires du champ de protection de cette norme. On peut regretter que ces considérations et les nuances qu’elles imposent ne soient pas mentionnées dans la décision du TPF.
Proposition de citation: Andrew Garbarski/Alain Macaluso, Procédure de levée des scellés – secret professionnel du juriste d’entreprise – secret de l’organe de révision, in : http://www.verwaltungsstrafrecht.ch du 15 février 2019.
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