Séquestre de documents – secret professionnel du notaire – portée géographique de la protection
Aux termes d’une décision du 26 février 2019, consultable sous le lien https://bstger.weblaw.ch/pdf/20190226_BV_2018_29.pdf, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) a dû se prononcer sur la validité d’un séquestre de documents (art. 46 DPA) couverts par le secret professionnel du notaire. Ces documents avaient été saisis en dehors des locaux du mandataire, dans le cadre d’une procédure de droit pénal administratif ouverte par l’Administration fédérale des contributions (AFC) contre A., en raison de soupçons d’infractions graves à la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD).
Dans le cadre de cette enquête, le Directeur de l’AFC avait ordonné plusieurs perquisitions, dont la première, exécutée dans les bureaux de l’avocat-notaire Me B., avait débouché en décembre 2016 sur une décision du TPF, constatant l’illicéité du séquestre de deux enveloppes, vu le secret professionnel du notaire qui s’y attachait (BV.2016.21 du 12 décembre 2016). Lors d’une perquisition ultérieure, intervenue en juin 2015, l’AFC avait notamment saisi des fichiers électroniques dans les bureaux du prévenu A. L’un de ces fichiers, daté du 10 octobre 2012, avait pour titre « Disposizioni testamentarie ». Se prévalant de la décision précitée du TPF du 12 décembre 2016, A. avait conclu à la levée du séquestre portant sur le fichier précité, mais l’AFC avait refusé de le retirer du dossier, au motif qu’il proviendrait de la version imprimée des données informatiques saisies dans les bureaux de A. à Genève et ne serait, par conséquent, pas couvert par le secret professionnel des avocats et notaires.
Dans sa décision du 26 février 2019 rapportée ici, le TPF confirme que le secret professionnel des notaires est également protégé dans le cadre du séquestre de l’art. 46 DPA, quand bien même le texte de la disposition n’y fait pas expressément référence. En effet, l’art. 46 al. 3 DPA doit être lu en parallèle avec l’art. 50 al. 2 DPA, lequel mentionne le secret professionnel des notaires. En outre, il n’y a pas de raison objective qui justifierait que le secret professionnel des avocats et celui des notaires soient traités différemment en ce qui concerne la protection conférée (c. 2.1 et les références citées). Toutefois, c’est le lieu de rappeler que le secret ne concerne que les activités en relation directe avec l’exercice de la profession d’avocat ou de notaire. Le client doit effectivement pouvoir jouir d’un rapport de confiance particulier avec son mandataire (ATF 117 Ia 341, c. 6a/bb). De jurisprudence constante, une activité purement commerciale (gérant de fortune, administrateur de société, etc.) n’est pas couverte par le secret professionnel et, partant, n’est pas protégée (ATF 120 Ib 112, c. 4 ; ATF 115 Ia 197, c. 3d ; ATF 112 Ib 606).
Le notaire exerce deux types d’activités: l’activité dite « ministérielle », d’une part, qui renvoie à l’instrumentation d’actes authentiques en application du monopole que lui confère, entre autres, le droit civil et, d’autre part, les activités dites « accessoires », hors du monopole du notaire donc, généralement régies par les règles du mandat. Le notaire a l’obligation de garder secret tous les faits qui lui sont confiés, qu’il agisse ou non dans le cadre du monopole. Il en va de la confiance que la population doit pouvoir placer dans la profession de notaire. Au vu de l’identité entre le secret de l’avocat et celui du notaire, c’est à raison que le TPF estime qu’il convient de traiter la présente problématique à l’aune des principes et de la jurisprudence qui régissent l’activité de l’avocat (c. 2.3).
Pour établir si les documents litigieux sont ou non protégés par le secret, il faut en premier lieu déterminer, sur la base des circonstances du cas d’espèce, si les actes du notaire relèvent ou pas de son activité typique. La rédaction de dispositions testamentaires et tous les contacts qui s’y rapportent entre le notaire et son client entrent manifestement dans l’activité typique du notaire, de sorte que le secret professionnel s’applique sans restriction.
L’argument invoqué par l’AFC, selon lequel le document litigieux ne serait pas protégé par le secret professionnel du notaire au motif qu’il a été saisi hors de l’étude de Me B., est rejeté, à juste titre, par le TPF. En effet, entré en vigueur le 1er mai 2013, l’art. 46 al. 3 DPA a été adopté dans le cadre de l’harmonisation des dispositions de procédure relatives au secret professionnel de l’avocat. Sa teneur est ainsi censée reprendre l’art. 264 al. 1 let. a et d CPP, la phrase introductive de l’al. 1 disposant ce qui suit: « Quels que soient l’endroit où ils se trouvent et le moment où ils ont été conçus, ne peuvent être séquestrés… ». Ainsi, la dimension géographique du séquestre ne joue aucun rôle dans la protection du secret professionnel, celui-ci étant protégé indépendamment du lieu où ont été saisis les documents (c. 2.5 et les références citées).
Vu ce qui précède, quand bien même le fichier litigieux avait été saisi dans les locaux du prévenu et conservé par ce dernier sur son système informatique, la protection du secret professionnel demeurait entière. En outre, le fait que le fichier précité ne constituait pas une reproduction stricto sensu du document précédemment saisi chez l’avocat-notaire Me B., mais sa version électronique dénuée de la signature du plaignant, était sans pertinence selon le TPF. En effet, les deux documents avaient un contenu identique (sous réserve de la signature du plaignant) et le plaignant avait effectivement confié à son avocat-notaire la conservation de ses dispositions testamentaires originales, ce qui démontrait d’autant plus l’existence d’un rapport certain entre le fichier électronique saisi chez le plaignant et l’activité typique déployée par l’avocat-notaire (c. 2.6).
Pour toutes ces raisons la plainte a été admise et le séquestre levé par le TPF. Quand bien même le délai de recours au Tribunal fédéral (TF) n’est pas encore échu au moment de publier ces lignes, la décision du 26 février 2019 ici relatée doit selon nous être saluée, notamment en tant qu’elle calque le régime de la DPA sur celui du CPP en ce qui concerne le champ de protection – en particulier géographique – conféré au secret professionnel. A cet égard, la décision précitée s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence fédérale récente (TF, 1B_487/2018 du 6 février 2019, arrêt commenté le 22 février 2019 sur ce blog par Garbarski/Macaluso) qui marque également un rapprochement bienvenu entre la DPA et le CPP, en matière de mise sous scellés. Pour rappel, il découle de cette jurisprudence que la légitimation pour requérir la mise sous scellés de documents saisis dans le cadre de procédures relevant de la DPA, notamment s’ils sont couverts par un secret professionnel protégé, doit être désormais reconnue à toute personne – détentrice ou non – qui dispose d’un intérêt juridiquement protégé au maintien du secret, conformément à la pratique bien établie, développée ces dernières années à l’aune du CPP.
Proposition de citation: Andrew Garbarski/Ryan Gauderon, Séquestre de documents – secret professionnel du notaire – portée géographique de la protection, in: www.verwaltungsstrafrecht.ch du 20 mars 2019
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