Séquestre de valeurs patrimoniales (art. 46 al. 1 lit. b DPA)
Dans un arrêt du 19 avril 2018, consultable sous le lien suivant: https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://19-04-2018-1B_554-2017&lang=fr&zoom=&type=show_document, le Tribunal fédéral (« TF ») a dû se prononcer sur un séquestre de valeurs patrimoniales (art. 46 al. 1 lit. b DPA) ordonné dans le cadre d’une procédure de droit pénal administratif dirigée contre les responsables de A S.A, entreprise active dans le négoce de matières premières. Il leur était reproché d’avoir procédé à du négoce de sucre blanc entre 2012 et 2014 sans disposer d’une autorisation de la FINMA et sans être affiliés à un organisme d’autorégulation. Le séquestre portait sur environ trois millions de francs. Saisi d’une plainte de la société, le TPF a confirmé la validité du séquestre prononcé par le Département fédéral des finances (« DFF ») en date du 17 novembre 2017.
Devant le TF, la société recourante se plaignait, en substance, du fait que le séquestre ne pouvait viser que des valeurs potentiellement confiscables, ce qui supposait qu’il existât un lien de causalité direct entre l’infraction commise et les valeurs patrimoniales obtenues grâce à celle-ci. Toutefois, selon la recourante, le négoce de matières premières n’est pas, en soi, illicite. Seule l’absence d’autorisation rend l’activité illégale. La situation de la recourante se distinguait donc de celles où les valeurs patrimoniales sont issues de comportements toujours illicites, tels que la corruption ou l’escroquerie.
Le TF rappelle, dans un premier temps, que le séquestre, à l’instar de toute mesure provisionnelle, n’est prononcé qu’au stade de la vraisemblance, et maintenu aussi longtemps que subsiste une possibilité de confiscation (ATF 140 IV 57, consid. 4.1). En revanche, il expose que l’activité d’intermédiaire financier professionnel sans autorisation constitue objectivement une infraction à l’art. 44 al. 1 LFINMA (lu en relation avec l’art. 14 LBA). Le TF relève, à titre de comparaison, que les honoraires d’un intermédiaire financier peuvent être confisqués en cas de défaut de vigilance au sens de l’art. 305ter CP, alors même que les transferts de fonds ne sont pas en soi illicites et ne proviennent pas de la simple absence de vérification (ATF 129 IV 338, consid. 8). Au stade de la vraisemblance, le TF estime par conséquent qu’il n'est pas exclu (même si la jurisprudence ne s'est pas encore prononcée sur cette question) qu'il puisse en aller de même pour le produit d'une activité non autorisée d'intermédiaire financier. Or, au stade du séquestre, une simple probabilité de confiscation est suffisante (consid. 2.3).
Sans vouloir anticiper sur la réponse qui pourrait un jour être apportée par la jurisprudence à la question précitée, il nous semble que la possibilité de confisquer le produit d’une activité exercée sans autorisation mérite certaines cautèles. En effet, il apparaît nécessaire de distinguer les infractions qui répriment les comportements systématiquement illicites de ceux qui, en soi licites, deviennent illicites du fait de l’absence d’autorisation. Outre le cas du présent arrêt, on pensera au travail au noir, soit l’emploi de personnes étrangères sans autorisation de séjour et/ou de travail. Dans ce cas également, l’activité n’est pas en soi illicite, mais le devient du fait de l’absence d’autorisation pour l’exercer. Or, la jurisprudence admet que les salaires ainsi perçus ne sont pas confiscables, même si l’activité déployée était soumise à autorisation (ATF 137 IV 305, consid. 3.5). En effet, les Juges de Mon Repos estiment que les valeurs patrimoniales issues d’un acte juridique objectivement valable (ici un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO) ne tombent pas sous le coup d’une confiscation (ATF 137 IV 305, consid. 3.1; voir aussi ATF 141 IV 155, consid. 4.1: « Nicht einziehbar sind Vermögenswerte, die aus einem objektiv legalen Geschäft stammen »). L’absence d’une autorisation de la police des étrangers n’engendre pas en tant que telle la nullité du contrat au sens de l’art. 20 CO (ATF 122 III 110, consid. 4e). Dans le cas d’opérations de négoce de matières premières, le défaut d’autorisation ne devrait pas non plus porter atteinte à la validité des contrats conclus et exécutés dans ce cadre. Ainsi, si l’on se réfère à la définition de la confiscation et à la lettre de l’art. 70 CP, l’avantage confiscable doit en soi être illégal. La confiscation vise en effet à ce que « le crime ne paie pas ». L’achat et la revente de matière première ne sont pas objectivement illicites et reposent sur des actes juridiques valables. La seule possibilité de confiscation qui nous semble envisageable serait d’identifier les valeurs patrimoniales qui n’auraient pas pu être obtenues même avec l’autorisation exigée. Dans ce cas, la confiscation porterait bel et bien sur un avantage illicite qui ne doit pas rester en mains de l’auteur. Moreillon/Nicolet estiment d’ailleurs que si les gains ont pour source une activité légale, la violation de dispositions accessoires pour permettre la perception de ces gains ne justifie pas la confiscation (Moreillon Laurent/Nicolet Yves, RPS 135/2017, la créance compensatrice, p. 420).
Il est vrai cependant que dans un arrêt isolé du 9 mars 2017 (TF, arrêt du 9 mars 2017, 6B_866/2016, consid. 9.3), le TF, statuant sur une décision zurichoise rendue en application du droit cantonal, a considéré comme non arbitraire la confiscation de valeurs patrimoniales perçues par une personne qui jouait de la musique sur le domaine public sans autorisation. Le cadre restreint dans lequel se prononçait alors le TF ne permet cependant pas de généraliser la portée de cette jurisprudence.
Par ailleurs, le TF ne se prononce pas explicitement dans le présent cas d’espèce sur l’existence d’un lien de connexité direct entre l’infraction constatée et les valeurs patrimoniales placées sous séquestre. Si, en matière de corruption, le TF a admis que l’on puisse se contenter d’un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’infraction et les valeurs patrimoniales à confisquer (ATF 137 IV 79, consid. 3.2), il n’a pas étendu cette jurisprudence à l’ensemble des infractions et a donc maintenu pour le surplus l’exigence d’un lien de connexité direct et immédiat entre l’infraction en cause et les valeurs patrimoniales soumises à la confiscation, principe que le TF rappelle d’ailleurs dans l’arrêt ici commenté (consid. 2.2).
Ainsi, dans plusieurs affaires successives, le TF a refusé de prononcer la confiscation de valeurs patrimoniales qui n’entretenaient pas un lien direct et immédiat avec l’infraction, mais dont l’obtention avait simplement été favorisée par elle. Tel a été le cas dans une affaire de prostitution commise par une personne séjournant de manière illégale sur le territoire suisse (TF, arrêt du 26 octobre 2011, 6B_188/2011). Tel a également été le cas dans une affaire de vente de marchandises à l’Iran en violation d’une obligation de communiquer au SECO (TF, arrêt du 10 avril 2012, 6B_425/2011, consid. 5.5).
On peut dès lors s’interroger sur l’existence, dans le cas d’espèce, d’un tel lien direct et immédiat entre l’infraction que constitue le fait d’exercer une activité d’intermédiation financière sans autorisation et l’obtention des valeurs patrimoniales actuellement séquestrées. Néanmoins, sur cet aspect également, la jurisprudence récente du TF rappelée ci-dessus (« affaire du musicien de rue » : TF, arrêt du 9 mars 2017, 6B_866/2016, consid. 9.3) semble aller en sens inverse, mais, derechef, la portée de cet arrêt, restreint à la question de l’arbitraire d’une décision fondée sur le droit cantonal, apparaît potentiellement limitée.
En définitive, dans les cas où une activité revêt un caractère illicite du seul fait de l’absence d’une autorisation, il nous semble trop péremptoire et juridiquement discutable de séquestrer la totalité des valeurs dégagées par cette activité.
Proposition de citation: Alain Macaluso/Andrew Garbarski, Séquestre de valeurs patrimoniales (art. 46 al. 1 lit. b DPA), in: www.verwaltungsstrafrecht.ch du 15 mai 2018
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