Champ d’application matériel de la suspension du délai de prescription de l’action pénale (art. 11 al. 3 DPA)
Aux termes d’un arrêt 6B_505/2018 du 3 mai 2019, consultable sous le lien https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?lang=fr&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=6b_505%2F2018&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F03-05-2019-6B_505-2018&number_of_ranks=1, le Tribunal fédéral (TF) a été amené à se prononcer notamment sur la suspension du délai de prescription de l’action pénale, lorsque l’issue de la procédure de droit pénal administratif dépend d’une question préjudicielle « à trancher selon la loi administrative spéciale ». Cette matière est traitée à l’art. 11 al. 3 DPA, dont on rappelle qu’il s’agit d’une spécificité du droit pénal administratif qui le distingue du droit pénal ordinaire, lequel ne connaît plus la suspension, ni l’interruption de la prescription pénale depuis la révision du Code pénal de 2007 (cf. également art. 333 al. 6 let. c CP).
Dans le cas d’espèce, le prévenu avait été condamné à une amende de CHF 5'000.- pour infraction à la Loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (LMJ) (RS 935.52, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018). En substance, il était reproché au prévenu, aux termes de l’art. 56 al. 1 let. c LMJ, d’avoir installé dans son restaurant un appareil à sous servant au jeu de hasard, sans qu’il n’ait fait l’objet préalablement d’un examen, d’une évaluation de la conformité ou d’une homologation. La poursuite de cette infraction de degré contraventionnel est sujette à un délai de prescription de 7 ans, compte tenu du plafonnement imposé par la jurisprudence (ATF 134 IV 328; cf. également art. 57 al. 2 LMJ cum art. 333 al. 6 let. a CP et – dans une affaire liée à la présente – TF, 6B_286/2018 du 26 avril 2019, c. 3.4.2).
Le prévenu faisait valoir à l’appui de son recours au TF que la poursuite de l’infraction précitée était déjà prescrite lorsque la Commission fédérale des jeux (CFMJ) a rendu son prononcé pénal du 27 avril 2016, valant « jugement de première instance » aux termes de l’art. 97 al. 3 CP. Pour étayer cet argument, le prévenu soutenait entre autres que le mécanisme de suspension du délai de prescription de l’action pénale, prévu à l’art. 11 al. 3 DPA, n’aurait pas vocation à s’appliquer en dehors du domaine fiscal, vu que le texte de la disposition légale fait référence à « l’assujettissement à la prestation ou à la restitution ». Autrement dit, selon le prévenu, la procédure incidente qui avait été engagée, parallèlement à l’enquête de droit pénal administratif, en relation avec la qualification juridique de l’automate litigieux d’un point de vue administratif n’avait eu aucun effet sur le cours de la prescription de l’action pénale.
Dans son arrêt du 3 mai 2019 ici commenté, le TF rappelle d’entrée de cause (c. 1) que, selon sa jurisprudence récente (TF 6B_23/2018 du 26 mars 2019, c. 2 [destiné aux ATF]), il n’est pas tenu d’examiner l’application du principe de la lex mitior lorsque des nouvelles dispositions légales sont entrées en vigueur après le prononcé de la décision de dernière instance cantonale. Aussi, quand bien même la LMJ a été abrogée et remplacée au 1er janvier 2019 par la Loi fédérale sur les jeux d’argent (RS 935.51), le TF a examiné en l’espèce les griefs du prévenu à l’aune de la LMJ.
Sur le fond, s’agissant du champ d’application de l’art. 11 al. 3 DPA, le TF rejette l’argument du prévenu et considère que cette disposition légale n’est pas limitée aux affaires de nature fiscale. Dès lors que sa teneur fait aussi référence à « une autre question préjudicielle à trancher selon la loi administrative spéciale », le TF y voit l’expression de la volonté du législateur de l’étendre – nota bene dans les limites tracées par la DPA – à toute matière dans laquelle la réalisation d’une infraction pénale dépend d’une question administrative qui nécessite d’être clarifiée en amont. Tel est notamment le cas de la LMJ, où l’infraction prévue à l’art. 56 al. 1 let. c LMJ, dont il était question dans le cas porté au TF, suppose que la machine litigieuse réponde à la définition d’un appareil à sous servant aux jeux de hasard aux termes de l’art. 3 al. 2 LMJ. Or, selon notre Haute Cour, il s’agit d’une question technique que seule l’autorité administrative spécialisée, à savoir la CFMJ, est compétente pour résoudre – à l’exclusion du juge pénal, donc – dans le cadre de la procédure d’autorisation/qualification, prévue aux art. 61 ss de l’Ordonnance sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (RS 935.521) (c. 2.5 de l’arrêt ici commenté et les références citées; voir aussi TF, 6B_286/2018 du 26 avril 2019, c. 3.6.3). Le TF rappelle également que la réalisation de l’infraction dont dispose l’art. 56 al. 1 let. c LMJ ne dépend pas de l’existence préalable d’une décision entrée en force de la CMJ confirmant que l’appareil en cause sert aux jeux d’adresse ou à des jeux de hasard (cf. également TF, 6B_899/2017 du 3 mai 2018; voir sur ces questions Camill Droll/Marcel Alexander Niggli, Spielbanken und Geschicklichkeits- und Glückspiele, L, ContraLegem 2018/2, pp. 29 ss).
Vu ce qui précède, notre Haute Cour confirme dans son arrêt 6B_505/2018 du 3 mai 2019 (c. 2.5 in fine) que le délai de prescription de l’action pénale était en l’espèce suspendu, en application de l’art. 11 al. 3 DPA, entre le 28 septembre 2010 (dépôt du recours auprès du Tribunal administratif fédéral [TAF] contre la décision dite de qualification de la CMJ) et le 10 avril 2012 (arrêt du TF qui rejetait le recours dirigé contre la décision du TAF).
Le fait que la teneur de l’art. 11 al. 3 DPA ne se réfère qu’aux contraventions et délits, à l’exclusion des infractions de degré criminel ne change rien, selon le TF, aux développements qui précèdent en ce qui concerne l’étendue de la matière soumise au mécanisme de suspension de la prescription. Cela étant, notre Haute Cour s’interroge quant au bienfondé d’un tel traitement différencié, qui revient de fait à discriminer les infractions les plus graves. La question de l’opportunité d’étendre l’art. 11 al. 3 DPA aux crimes, à la suite d’une partie de la doctrine (voir dans ce sens Eicker/Frank/Achermann, Verwaltungsstrafrecht und Verwaltungsverfahrensrecht, Berne 2012, p. 85), est cependant laissée ouverte par le TF, puisque le cas d’espèce concernait, comme évoqué ci-dessus, une infraction de degré contraventionnel (art. 56 LMJ).
Savoir si le délai de prescription de l’action pénale relative à un crime est suspendu, pendant une procédure parallèle portant sur une question administrative incidente, est indéniablement une question importante, aussi bien pour les justiciables que pour l’autorité administrative en charge de la poursuite. Il reste donc à espérer que la portée exacte de l’art. 11 al. 3 DPA pourra être clarifiée par le TF à l’occasion d’une prochaine jurisprudence.
Dans le prolongement de ce qui précède, on ne peut s’empêcher de déplorer, une nouvelle fois, l’assimilation que fait la jurisprudence désormais constante du prononcé pénal de l’administration (art. 70 DPA) à un « jugement de première instance » (art. 97 al. 3 CP), interruptif de la prescription de l’action pénale. Comme le démontre un arrêt rendu quelques jours plus tôt dans une affaire connexe (TF, 6B_286/2018 du 26 avril 2019, c. 3.5.2 et 3.5.3), le TF n’entend manifestement pas revenir sur sa jurisprudence. Il n’empêche que celle-ci nous paraît prêter le flanc à la critique, vu notamment la nature du prononcé pénal, le fait qu’il cesse d’exister ex tunc en tant que décision de portée juridictionnelle en cas de demande du prévenu d’être jugé par un tribunal et, last but not least, l’inégalité de traitement injustifiée qui en découle en comparaison du régime applicable à l’ordonnance pénale du CPP (voir sur ces questions Alain Macaluso/Andrew Garbarski, Commentaire de l’arrêt 6B_1304/2017 du 25 juin 2018, in www.verwaltungsstrafrecht.ch du 17 juillet 2018 et les références citées).
Proposition de citation: Andrew Garbarski, Champ d’application matériel de la suspension du délai de prescription de l’action pénale (art. 11 al. 3 DPA), in: www.verwaltungsstrafrecht.ch du 21 mai 2019
Teilen:
Beitrag kommentieren
Ihr Kommentar wird nach einer Prüfung freigeschaltet.