Exercice de l’activité de trustee sans affiliation à un organisme d’autorégulation / art. 6 al. 2 DPA / prescription de l’action pénale: Considérations sur le jugement du Tribunal pénal fédéral SK.2020.47 du 17 octobre 2022
Le Tribunal pénal fédéral a récemment mis en ligne un jugement intéressant, SK 2020.47 du 17 octobre 2022 (https://bstger2.weblaw.ch/cache?guiLanguage=de&q=sk.2020.47&id=04f82f62-e5a1-4ccc-a227-c3d9b2c96856&filters%5B0%5D%5B0%5D=tipoSentenza&filters%5B0%5D%5B1%5D=AND&filters%5B0%5D%5B2%5D%5B0%5D=Weiterzug&sort-field=relevance&sort-direction=relevance). Ayant apparemment fait l’objet d’un appel, il n’est pas encore définitif. Cela n’enlève toutefois rien à l’intérêt de ses considérants. L’affaire traite, en bref, de l’exercice par une société anonyme d’une activité de trustee, sans respecter les conditions posées par le droit bancaire et financier, soit sans affiliation à un organisme d’autorégulation ni autorisation FINMA. La procédure était dirigée contre un organe de ladite société, auquel il était reproché d’avoir administré certains trusts entre le 10 octobre 2012 et le 9 juillet 2013 et de s’être par là même rendu coupable d’infraction à l’art. 44 LFINMA.
Ce jugement appelle les observations suivantes.
Premièrement, le prévenu a été condamné par le Tribunal pénal fédéral à une amende de CHF 1’500.-, après une procédure qui a duré plus de trois ans. Comme souvent en droit pénal administratif, les désagréments et les frais, notamment de défense, causés par la procédure sont sans commune mesure avec la peine infligée à son terme. On relèvera également dans ce contexte que la peine retenue par le Tribunal pénal fédéral était plus clémente que celle infligée par le Département fédéral des finances (DFF) aux termes de son mandat de répression et son prononcé pénal (peine pécuniaire avec sursis de 60 jours-amende à 430.- francs le jour).
Deuxièmement, le jugement ici signalé rappelle que le trustee est soumis à la LBA dès lors qu’il a exercé son activité en Suisse ou depuis la Suisse, peu importe que les valeurs patrimoniales rattachées au trust se situaient exclusivement à l’étranger (cf. art. 2 al. 1 let. a OBA). De même, il importait peu que le trust ait été constitué selon le droit étranger (on rappellera que le trust de droit suisse n’existe pas encore, même si un projet législatif en cours propose de l’introduire).
“È assoggettato alla LRD il trustee che gestisce trust in o dalla Svizzera, indipendentemente da dove si trovi il patrimonio del trust e dall’ordinamento giuridico sotto il cui regime è stato costituito il trust.” (consid. 5.3.2)
Un trustee est donc soumis à la LBA dès lors qu’il exerce son activité en Suisse ou depuis la Suisse. Il doit donc se conformer aux obligations de tout intermédiaire financier, soit notamment procéder aux clarifications nécessaires (art. 6 LBA) et, le cas échéant, à une annonce MROS (art. 9 LBA), même concernant des avoirs ou des transactions à l’étranger.
Nous précisons également incidemment ici que, depuis le 1er janvier 2020 (avec des délais transitoires), contrairement à ce qui prévalait à l’époque des faits pertinents, l’activité de trustee nécessite une autorisation de la FINMA (art. 2 al. 1 let. b cum art. 5 al. 1 LEFin), une simple affiliation à un organisme d’autorégulation ne suffisant plus.
Troisièmement, l’activité de trustee avait formellement été exercée par B. SA, une société anonyme au sein de laquelle le prévenu était responsable de l’activité de fiducie. Le Tribunal pénal fédéral a jugé que l’infraction lui était imputable en application de l’art. 6 al. 1 DPA puisqu’il était la personne de référence pour l’activité de trustee concernée:
“È pertanto indubbio che A. era la persona fisica di riferimento all’interno di B. SA, perlomeno per quanto attiene l’attività di trustee, ed è colui che deve rispondere della violazione dell’art. 44 LFINMA ai sensi dell’art. 6 cpv. 1 DPA.” (consid. 8.3)
Dans un obiter dictum, le Tribunal pénal fédéral rappelle que la DPA connaît également une responsabilité du chef d’entreprise (art. 6 al. 2 DPA) et que les membres du conseil d’administration sont garants du respect par l’entreprise de la législation notamment bancaire et financière applicable (consid. 8.1). Une telle conception – qui correspond à celle du Tribunal fédéral (cf. récemment encore TF 6B_444/2021 du 9 décembre 2021, consid. 3.2) nous paraît excessivement large et, dans son résultat, trop sévère. Il conviendrait à tout le moins de limiter cette position de garant aux risques typiques inhérents à l’activité exercée par l’entreprise considérée et toujours réserver l’hypothèse d’une délégation “top-down” lorsque celle-ci est autorisée par la loi et les règlements ou directives internes de l’entreprise.
Quatrièmement, le prévenu soutenait, en se fondant sur l’ATF 147 IV 274 que le prononcé pénal (art. 70 DPA) dont il avait fait l’objet n’avait pas pu interrompre la prescription de l’action pénale faute d’être intervenu à l’issue d’une procédure contradictoire respectant son droit d’être entendu (consid. 3.5.1). Le Tribunal pénal fédéral a rejeté l’argument (consid. 3.5.4), en considérant qu’au vu de son déroulement concret, la procédure devant le DFF avait été contradictoire vu que le prévenu avait pu prendre position sur le procès-verbal final (art. 61 DPA) et présenter une opposition motivée au mandat de répression (art. 64 DPA). Le DFF avait en outre administré les preuves requises par le prévenu. Peu importe, selon le Tribunal pénal fédéral, que le prononcé pénal ait été rendu par une autorité non judiciaire, puisque le prévenu disposait de la possibilité de demander à être jugé par un tribunal ce qui suffisait au regard de l’art. 6 CEDH.
La jurisprudence désormais constante évoquée ci-dessus (ATF 147 IV 274), selon laquelle le prononcé pénal de l’administration fédérale est assimilé à un jugement de première instance interruptif de la prescription de l’action pénale (art. 97 al. 3 CP), n’emporte toujours pas la conviction. Le fait que le prononcé pénal intervienne à l’issue d’une procédure contradictoire et qu’il ait été rendu sur une base circonstanciée ne saurait suffire. La ratio de l’art. 97 al. 3 CP est de n’arrêter le cours de la prescription qu’après le prononcé d’un tribunal, par quoi il faut entendre un juge indépendant et impartial.
Or, le prononcé pénal (art. 70 DPA) est rendu par l’administration, qui ne remplit pas ces critères, ce que la jurisprudence reconnaît au demeurant. En outre, pour faire l’analogie avec le Code de procédure pénale (CPP), le prononcé pénal s’apparente, en réalité, à une deuxième ordonnance pénale, rendue par l’autorité de poursuite pénale ensuite de l’opposition à une première ordonnance pénale (art. 355 al. 3 let. c CPP). Or, dans le contexte du CPP, l’ordonnance pénale frappée d’opposition ne déploie jamais d’effet de droit matériel (notamment l’interruption de la prescription de l’action pénale), peu importe le nombre d’ordonnances pénales successives rendues et peu importe aussi le caractère circonstancié de l’instruction menée par le Ministère public en amont de l’ordonnance pénale. Or, il est courant dans la pratique qu’une ordonnance pénale soit rendue au terme d’une instruction fouillée et contradictoire, y compris dans des dossiers complexes et l’on ne voit pas pourquoi l’administration fédérale devrait bénéficier d’un traitement de faveur sous l’angle de l’interruption de la prescription en comparaison de l’autorité de poursuite du CPP. Enfin, le fait que le prévenu faisant l’objet d’une procédure pénale administrative puisse demander à être jugé par un tribunal n’est selon nous pas pertinent ni a fortiori décisif pour juger de la conformité de la jurisprudence susvisée à l’art. 6 CEDH. En effet, le problème résulte du fait que des effets de droit matériel s’attachent de manière irréversible à un prononcé d’une simple autorité administrative et cela alors même que ce prononcé cesse d’exister, en tant que décision susceptible d’avoir une portée juridictionnelle, dès l’instant où le prévenu demande à ce que sa cause soit jugée par un tribunal indépendant et impartial (art. 72 DPA).
Il reste à voir si et comment la question des implications du prononcé pénal sous l’angle de la prescription sera appréhendée dans le cadre de la révision en cours de la DPA (cf. Motion Caroni 14.4122, https://www.parlament.ch/de/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20144122), dont l’avant-projet devrait en principe paraître dans le courant de cette année. Affaire à suivre, donc...
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Louis Frédéric Muskens, Exercice de l’activité de trustee sans affiliation à un organisme d’autorégulation / art. 6 al. 2 DPA / prescription de l’action pénale: Considérations sur le jugement du Tribunal pénal fédéral SK.2020.47 du 17 octobre 2022, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 13 février 2023
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