Fixation de la peine en cas d’infraction à la LTVA
Le présent signalement concerne l’arrêt du Tribunal fédéral (TF) 6B_1186/2022, 6B_1193/2022 du 12 juillet 2023 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=6b_1186%2F2022&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F12-07-2023-6B_1186-2022&number_of_ranks=15), destiné à la publication aux ATF, lequel s’inscrit dans le cadre d’une enquête pénale (administrative) menée par l’Administration fédérale des douanes (AFD; depuis le 1er janvier 2022 : l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières [OFDF]) à l’encontre d’un collectionneur d’art et propriétaire d’un hôtel de luxe zurichois (ci-après : A.), soupçonné d’infractions à la Loi fédérale du 12 juin 2009 régissant la taxe sur la valeur ajoutée (LTVA; RS 641.20).
Les faits qui sous-tendent cet arrêt sont, en bref, les suivants : par mandat de répression du 24 mars 2016 (art. 64 ss DPA), l’OFDF a infligé à A. une amende de 4’000’000 fr. pour de multiples soustractions consommées et tentatives de soustraction de l’impôt sur les importations. L’AFD reprochait à A. d’avoir omis de déclarer ou déclaré de manière erronée plusieurs œuvres d’art lors de leur importation en Suisse. L’intéressé a fait opposition au mandat de répression précité (art. 67 ss DPA).
Par prononcé pénal du 6 octobre 2016 (art. 70 DPA), l’OFDF a condamné A. à une amende de 4’000’000 fr. pour de multiples soustractions consommées et tentatives de soustraction de la TVA.
A. a ensuite sollicité le jugement de sa cause par un tribunal (art. 72 DPA). Par jugement du 4 mai 2018, le tribunal de district de Bülach (ZH) a condamné A. à une amende de 4’000’000 fr. pour de multiples soustractions d’impôt au sens de l’art. 85 al. 1 aLTVA (en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009 ; RO 2000 1300) et de l’art. 96 al. 4 let. a LTVA. A. a formé appel contre ce jugement auprès de l’Obergericht du canton de Zurich, tandis que l’OFDF a interjeté appel joint.
Le 4 juin 2020, l’Obergericht de Zurich a, en substance, confirmé les condamnations prononcées en première instance et condamné A. à une amende de 2’503’000 fr. Ce jugement a fait l’objet d’un recours interjeté par l’OFDF et par A. auprès du TF, lequel a (i) admis le recours de l’OFDF, (ii) rejeté celui de A. et (iii) renvoyé la cause à l’instance précédente pour nouveau calcul du montant de l’amende. Statuant sur renvoi du TF, l’Obergericht de Zurich a, par jugement du 12 août 2022, infligé à A. une amende de 3’098’485 fr.
Tant l’OFDF (procédure 6B_1186/2022) que A. (procédure 6B_1193/2022) ont formé un nouveau recours en matière pénale par-devant le TF contre ce jugement (art. 78 ss LTF), concluant principalement à son annulation, subsidiairement au renvoi de la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision.
En substance, l’OFDF reprochait à l’Obergericht de Zurich d’avoir fait un mauvais usage de son pouvoir d’appréciation et de ne pas avoir tenu compte des circonstances pertinentes du cas d’espèce pour la fixation de la peine, laquelle devait être revue à la hausse (pour les détails relatifs à la fixation de la peine par l’instance précédente, cf. Villard, Interdiction de la double prise en considération du montant de l’impôt soustrait dans le calcul de l’amende pour violation de la LTVA, in iusNet DP-PP 18.09.2023). Pour sa part, A. se plaignait notamment du fait que l’Obergericht de Zurich n’avait pas atténué la peine nonobstant la longue durée de la procédure.
Par arrêt du 12 juillet 2023, ici signalé, le TF a partiellement admis les recours précités. Seuls les griefs développés par l’OFDF ne seront traités ci-après.
À titre liminaire, le TF souligne qu’il n’examine la quotité des amendes pour soustraction d’impôt que sous l’angle de l’excès, respectivement de l’abus du pouvoir d’appréciation et que, partant, il n’intervient que si l’instance précédente ne s’est pas fondée sur les éléments juridiquement déterminants ou si elle a – arbitrairement − fixé une amende trop sévère ou trop clémente (c. 3.6.1).
Pour rappel, à teneur de l’art. 8 DPA, les amendes n’excédant pas 5’000 francs sont fixées selon la gravité de l’infraction et de la faute, à l’exclusion d’autres éléments d’appréciation. A contrario, la fixation d’amendes dépassant 5’000 francs se calcule selon les principes généraux de fixation des peines. Selon les art. 97 al. 1 LTVA et 106 al. 3 CP, le tribunal fixe l’amende en fonction de la situation de l’auteur, afin que la peine corresponde à la faute commise. En outre, les principes généraux de la fixation de la peine de l’art. 47 CP ont également vocation à s’appliquer au droit pénal fiscal, par le renvoi des art. 2 DPA et 333 al. 1 CP.
À l’aune de ces principes, le tribunal fixe la peine en fonction de la culpabilité objective et subjective de l’auteur. Il tient notamment compte des antécédents et de la situation personnelle de l’auteur, de la vulnérabilité face à la peine, ainsi que du comportement après l’acte et au cours de la procédure pénale. Le TF ajoute qu’en droit pénal fiscal, les éléments principaux à prendre en considération sont le montant de l’impôt éludé, le modus operandi, la motivation de l’auteur, ainsi que les circonstances personnelles et économiques de ce dernier (c. 3.6.2).
Notre Haute cour rappelle ensuite le principe cardinal de l’interdiction de la double prise en considération ("Doppelverwertungsverbot"), à teneur duquel les circonstances qui conduisent à augmenter ou à diminuer le cadre de la peine ne doivent pas être prises en considération une seconde fois comme éléments aggravants ou atténuants dans le cadre ainsi modifié de la peine, sans quoi l’auteur pâtirait ou bénéficierait deux fois de la même circonstance (c. 3.7.1).
Selon la jurisprudence relative à la soustraction d’impôt au sens de l’art. 175 al. 2 phr. 1 de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD ; RS 642.11) dont il convient de s’inspirer par analogie, en présence d’une infraction intentionnelle sans circonstances particulières, l’amende équivaut, en règle générale, au montant de l’impôt soustrait. L’amende doit donc en principe être supérieure à une fois l’impôt éludé et peut être au plus triplée (cf. art. 175 al. 2 in fine LIFD) (c. 3.7.2).
En raison de la similitude entre la soustraction d’impôts directs et la soustraction de l’impôt sur les importations, le TF considère que le point de départ pour la fixation de la peine pour une soustraction consommée de l’impôt sur les importations au sens de l’art. 85 al. 1 aLTVA doit être une peine équivalente à une fois l’impôt soustrait, étant précisé que l’art. 85 al. 1 aLTVA prévoit une amende pouvant atteindre le quintuple de l’impôt éludé. À partir de là, en ce qui concerne les amendes dépassant 5’000 francs, la peine doit être réduite ou aggravée en fonction de la situation personnelle et économique de l’auteur (c. 3.7.2).
Partant, il ne se justifie pas de fixer l’amende pour une soustraction consommée et intentionnelle de l’impôt sur les importations à une fois seulement le montant de l’impôt soustrait, malgré une situation financière particulièrement favorable et l’existence de circonstances aggravantes. Le fait que les tribunaux disposent d’un large pouvoir d’appréciation lors de la fixation de la peine dans le cadre de l’art. 85 al. 1 aLTVA n’emporte pas pour autant un blanc-seing à cet égard (c. 3.7.2).
Le TF relève qu’en l’espèce, quand bien même l’instance précédente avait admis le caractère intentionnel de l’infraction, les circonstances aggravantes (i.e. une sortie d’objets d’art d’un entrepôt douanier suivie d’une exportation en vue d’une importation illégale en Suisse, respectivement une fausse déclaration avec emploi de factures fictives) ainsi que le déploiement d’une énergie criminelle considérable, elle avait condamné A. – au bénéfice d’une situation financière particulièrement favorable – à une amende s’élevant à seulement une fois l’impôt éludé, alors même que la peine peut être portée jusqu’à cinq fois l’impôt soustrait (c. 3.7.3).
Dans la mesure où ni l’art. 85 al. 1 aTVA ni l’art. 97 al. 1 LTVA ne fixent d’amende maximale générale et abstraite et que dite amende maximale doit être calculée individuellement en fonction du montant de l’impôt soustrait dans le cas concret, l’autorité ne saurait – sous peine de contrevenir au principe de l’interdiction de la double prise en considération sus-évoqué – se fonder à nouveau sur ce montant pour déterminer si l’amende doit se situer dans la fourchette supérieure ou inférieure du cadre de la peine.
Sur le vu de ce qui précède, le TF conclut que l’Obergericht de Zurich a méconnu son pouvoir d’appréciation et n’a pas tenu compte des circonstances aggravantes pertinentes. Le recours de l’OFDF est ainsi admis sur ce point et la cause renvoyée à l’instance précédente pour nouvelle fixation de la peine (c. 3.7.3).
Cet arrêt offre un récapitulatif utile des principes qui régissent la fixation de la peine en matière pénale fiscale et permet notamment de prendre la mesure de l’importance de l’interdiction de la double prise en considération dans le cadre de la détermination de la quotité de l’amende (sur cette notion, cf. BSK StGB-Wiprächtiger/Keller, CP 47 N 102 ss). Il s’agit en effet là d’un élément central en matière de fixation de la peine, qui, quand bien même il n’est pas consacré expressément par le CP (contrairement au CP allemand par exemple, cf. § 46 al. 3 StGB/D), doit être soigneusement apprécié par les autorités de jugement. L’arrêt ici signalé met enfin en évidence la durée grandissante des procédures pénales administratives (aucun jugement définitif n’ayant encore été rendu plus de sept ans après le prononcé pénal de l’OFDF), de même que la technicité des questions juridiques qui peuvent y être abordées et débattues, notamment au stade de la procédure judiciaire qui se déroule devant le juge indépendant et impartial et qui succède à la procédure menée par l’administration. Cette réalité rend à notre sens d’autant plus critiquable la jurisprudence du TF, désormais constante (ATF 147 IV 274), selon laquelle un prononcé pénal de l’administration est assimilé à un jugement de première instance, aux termes de l’art. 97 al. 3 CP, du point de vue de l’interruption de la prescription de l’action pénale.
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Dylan Frossard, Fixation de la peine en cas d’infraction à la LTVA, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 18 janvier 2024
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