Lex mitior et législation sur les jeux d’argent
Le Tribunal fédéral (TF) a récemment mis en ligne l’arrêt 6B_536/2020 du 23 juin 2021 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=6b_536%2F2020&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F23-06-2021-6B_536-2020&number_of_ranks=1), destiné à la publication aux ATF, lequel traite de la lex mitior et concerne une procédure qui avait été menée par Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ) à l’encontre de deux co-prévenus, A. et B. En bref, la CFMJ avait été informée de ce que A. avait acquis deux appareils à sous servant à des jeux de hasard et les avait installés du 20 au 24 mars 2017 dans le restaurant de B., soit en dehors d’une maison de jeu autorisée. Il avait été retenu que B. – contre une rémunération mensuelle de l’ordre de CHF 600.- versée par A. – avait mis son restaurant à disposition en vue de rendre lesdits appareils accessibles à un nombre illimité de joueurs potentiels.
Par prononcé pénal du 17 octobre 2018, au sens de l’art. 70 al. 1 DPA, la CFMJ a déclaré A. et B. coupables d’avoir organisé des jeux d’argent en dehors de maisons de jeu autorisées, en vertu de l’art. 56 al. 1 let. a de l’ancienne Loi fédérale du 18 décembre 1998 sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (LMJ; RS 935.52).
Après avoir demandé à être jugés par un tribunal, conformément à l’art. 72 al. 1 DPA, les deux co-prévenus ont été condamnés le 5 mars 2019 par le Tribunal de district de Zurich, pour violation de la LMJ, et se sont vus infliger des peines d’amende, soit de CHF 2’000.- pour A., respectivement de CHF 1’400.- pour B.
Sur recours de la CFMJ, l’Obergericht du canton de Zurich a confirmé le jugement de première instance, en date du 19 février 2020.
La CFMJ interjette un recours en matière pénale au TF contre ce jugement. Elle fait valoir en substance que l’instance inférieure a appliqué à tort l’ancien droit au lieu du nouveau droit et a ainsi fait une application erronée de la règle dite de la lex mitior. Elle invoque, à ce titre, l’ATF 134 IV 82, en en inférant qu’une amende doit généralement être considérée comme une sanction plus sévère qu’une peine pécuniaire avec sursis.
La question portée devant le TF a ainsi été celle de savoir lequel du nouveau droit (Loi fédérale du 29 septembre 2017 sur les jeux d’argent (LJAr; 935.51), entrée en vigueur le 1er janvier 2019) ou de l’ancien droit (LMJ) est plus favorable aux co-prévenus.
Il sied de préciser à cet égard que le comportement reproché aux co-prévenus remplissait les éléments constitutifs objectifs tant de la LJAr (art. 130 al. 1 let. a) que de la LMJ (art. 56 al. 1 let. a). Pour le surplus, les actes en question ont eu lieu en mars 2017, soit sous l’empire de l’ancienne loi.
Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les dispositions pénales ont entre autres été aggravées, comme suit;
- En vertu de l’art. 130 al. 1 let. a LJAr (nouveau droit), quiconque, intentionnellement exploite, organise ou met à disposition des jeux de casino ou des jeux de grande envergure sans être titulaire des concessions ou des autorisations nécessaires est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Cette disposition consacre un délit (art. 10 al. 3 CP).
- En vertu de l’art. 56 al. 1 let. a LMJ (ancien droit), quiconque aura organisé ou exploité par métier des jeux de hasard à l’extérieur d’une maison de jeu est puni d’une amende de CHF 500 000 au plus. Cette disposition consacre une contravention (art. 103 CP).
Le TF rappelle à titre liminaire que, selon l’art. 2 al. 1 CP, la loi pénale ne s’applique qu’aux faits commis après son entrée en vigueur; il s’agit là du principe de non-rétroactivité de la loi pénale.
Cependant, en vertu de l’art. 2 al. 2 CP, une loi nouvelle s’applique aux faits qui lui sont antérieurs si, d’une part, l’auteur est mis en jugement après son entrée en vigueur et si, d’autre part, elle est plus favorable que l’ancienne loi; c’est l’exception de la lex mitior.
En d’autres termes, on applique en principe la loi en vigueur au moment où l’acte a été commis, à moins que la nouvelle loi ne soit plus favorable à l’auteur. L’exception de la lex mitior se justifie par le fait qu’en raison d’une conception juridique modifiée, le comportement considéré n’apparaît plus – ou en tous cas moins – punissable pénalement.
La question de savoir quelle loi est la plus favorable ne s’apprécie pas sur la base d’une approche abstraite, mais bien par rapport au cas concret; il s’agit ainsi d’appliquer la méthode dite comparative concrète. Le tribunal doit examiner hypothétiquement l’infraction à la lumière de l’ancienne et de la nouvelle loi et, en comparant les résultats, il doit déterminer sous laquelle des deux lois le prévenu est le mieux loti.
Enfin, en vertu du principe d’objectivité, la position juridique la plus favorable n’est pas déterminée par le sentiment subjectif du prévenu, mais bien plutôt par des aspects objectifs.
Dans le cadre de cet examen, le TF propose un raisonnement en cascade, en 4 étapes (c. 4) :
- Les sanctions (peines principales) sont à comparer en fonction du genre de peine (peine privative de liberté, peine pécuniaire, amende);
- Si le genre de peine est identique, la comparaison est décidée sur la base de la modalité d’exécution de la peine (avec sursis, sursis partiel, sans sursis);
- Si le genre de peine et la modalité d’exécution de la peine sont les mêmes, c’est la quotité de la peine qui importe;
- Enfin, si la peine principale est la même, les peines complémentaires éventuelles sont prises en compte.
En l’espèce, la première étape de l’analyse suffit pour admettre que l’amende est plus favorable que la peine pécuniaire. En effet, le TF indique que si l’amende est la sanction prévue par la loi pour la catégorie d’infractions dans laquelle l’atteinte au bien juridique concerné est la plus faible, soit les contraventions, il s’ensuit logiquement que l’amende est conçue comme la sanction la plus clémente au sein de notre système de sanctions.
A l’appui de son recours, la CFMJ avait invoqué l’ATF 134 IV 82, en en déduisant qu’une amende doit généralement être considérée comme une sanction plus sévère qu’une peine pécuniaire avec sursis, ce qui justifierait l’application de la LJAr.
Le TF rappelle que la jurisprudence invoquée par la CFMJ a été rendue dans le contexte de la révision du droit des sanctions, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, qui a vu notamment l’introduction des peines pécuniaires, c’est-à-dire des peines monétaires exprimées en jours-amende (cf. Message du 29 juin 2005 relatif à la modification du code pénal dans sa version du 13 décembre 2002 et du code pénal militaire dans sa version du 21 mars 2003, FF 2005 4425, p. 4437).
Le TF avait jugé que dans cette constellation, les amendes – de l’ancien droit – et les peines pécuniaires – du nouveau droit – sont qualitativement équivalentes, puisque les deux sanctions affectent le patrimoine du prévenu. Sur ce vu, le TF avait conséquemment admis qu’une peine pécuniaire avec sursis doit être considérée comme plus favorable qu’une amende, le caractère sanctionnateur étant en effet moins prononcé en raison du sursis à l’exécution de la peine (ATF 134 IV 82, c. 7.2.4).
In casu, le TF retient que la CFMJ perd de vue que les considérations émises dans l’ATF 134 IV 82 – qui s’inscrit dans le cadre de la révision du droit des sanctions entrée en vigueur le 1er janvier 2007 – faisaient suite à une simple adaptation de terminologie. En effet, avant 2007, l’amende correspondait à l’actuelle peine pécuniaire (cf. également art. 333 al. 5 CP), ce qui explique pourquoi le TF avait évoqué une équivalence qualitative entre les deux peines.
Or la situation est différente pour ce qui concerne la révision des dispositions pénales en matière de jeux d’argent. En effet, au-delà d’une adaptation terminologique, le législateur a dans ce cas délibérément prévu d’associer à dite révision une aggravation des peines (Message du 21 octobre 2015 concernant la loi fédérale sur les jeux d’argent, FF 2015 7627, p. 7731). Il a ainsi expressément élevé les violations de l’ancien droit – constitutives de contraventions – au rang de délits (art. 10 al. 3 CP), voire de crimes (art. 10 al. 2 CP).
Le TF précise ainsi que la jurisprudence établie dans l’ATF 134 IV 82 ne saurait être transposée sans autre au cas d’espèce.
Partant, l’Obergericht zurichois n’a pas violé le droit fédéral en estimant que l’art. 130 al. 1 let. a LJAr, passible d’une peine pécuniaire, constitue une sanction plus sévère que l’art. 56 al. 1 let. a LMJ, et justifie dès lors l’application de la lex mitior. Le TF rejette par conséquent le recours de la CFMJ.
L’arrêt du TF doit selon nous être salué aussi bien dans son raisonnement que son résultat. Il apporte en outre réponse à une question qui pourrait se poser en des termes similaires en lien avec d’autres lois administratives qui ont été révisées ou remplacées au cours de ces dernières années. Incidemment, l’affaire portée au TF par la CFMJ permet de prendre la mesure de la détermination dont certaines administrations fédérales font preuve dans la poursuite des infractions qui relèvent de leur compétence et dont la gravité, objectivement parlant, est parfois relative (voir aussi le commentaire de Jecker, https://www.strafprozess.ch/sbg-oder-bgs-busse-oder-geldstrafe/). En l’espèce, en effet, les faits enseignent que la période pénale était de 4 jours et les amendes infligées aux deux co-prévenus totalisaient quelque CHF 3’400.-, ces chiffres devant être mis en perspective avec la durée de la procédure qui s’est étendue sur environ 4 ans.
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Dylan Frossard, Lex mitior et législation sur les jeux d’argent, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 14 juillet 2021
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