Prescription et concours en matière de soustractions multiples à l’impôt sur les importations
Le Tribunal fédéral (TF) a récemment mis en ligne un arrêt 6B_938/2020 du 12 novembre 2021 (http://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=6B_938%2F2020&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F12-11-2021-6B_938-2020&number_of_ranks=1), destiné à la publication, dans lequel il traite en particulier du contenu de l’acte d’accusation, de la prescription de l’action pénale et du concours d’infractions en cas de soustractions multiples à l’impôt sur les importations.
S’agissant des faits, en bref, par mandat de répression du 24 mars 2016, l’Administration fédérale des douanes (l’AFD; depuis le 1er janvier 2022: l’Office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières [l’OFDF]) avait condamné A., le recourant, à une amende de CHF 4’000’000 pour plusieurs soustractions consommées ou tentées de l’impôt sur les importations, commises en concours réel (art. 96 al. 4 let. a cum 97 al. 1 LTVA). Il lui était reproché d’avoir, dans 152 cas au total, omis de déclarer et/ou déclaré de manière erronée des œuvres d’art lors de leur importation en Suisse.
Sur opposition de A., l’AFD a confirmé sa condamnation par prononcé pénal du 6 octobre 2016. A. a ensuite demandé à être jugé par un tribunal. Le 25 novembre 2016, l’AFD a transféré l’affaire à l’Oberstaatsanwaltschaft de Zurich à l’intention du tribunal compétent, étant précisé que, dans sa transmission, l’AFD a renvoyé, en ce qui concerne les faits incriminés, au prononcé pénal du 6 octobre 2016, mais l’AFD a également conclu subsidiairement à ce que A. soit reconnu coupable de soustraction fiscale par négligence.
Le Tribunal du district de Bülach a condamné A. par jugement du 4 mai 2018 à une amende de CHF 4’000’000 pour soustractions multiples de l’impôt sur les importations. Sur appel de l’intéressé, l’Obergericht du canton de Zurich a, le 4 juin 2020, classé la procédure pour une partie des faits, a acquitté le prévenu pour d’autres et, pour le surplus, a confirmé sa condamnation mais prononcé une amende de CHF 2’503’000. Contrairement à l’instance précédente, qui avait cumulé l’ensemble des amendes portant sur toutes les soustractions reprochées au prévenu, l’Obergericht de Zurich a calculé la peine selon les principes régissant le concours.
Tant A. que l’AFD ont formé un recours en matière pénale au TF, le premier concluant principalement à son acquittement et subsidiairement à une réduction de l’amende, la seconde à ce qu’il lui soit infligé une amende de CHF 4’000’000.
Par arrêt du 12 novembre 2021, ici rapporté, le Tribunal fédéral a admis le recours de l’AFD et rejeté celui de A.
Dans un premier grief, A. se plaignait du caractère défectueux de l’accusation, dans la mesure où la transmission du dossier de l’AFD à l’intention du tribunal compétent comportait non seulement un renvoi à l’exposé des faits du prononcé pénal du 6 octobre 2016, mais également une réquisition subsidiaire, tendant à ce que l’intéressé soit reconnu coupable de soustractions d’impôt commises par négligence.
Selon l’art. 73 al. 2, 2ème phrase 2 DPA, le renvoi pour jugement doit contenir un exposé des faits et indiquer les dispositions pénales applicables ou se référer au prononcé pénal.
Sur ce point, le TF confirme qu’une combinaison entre un exposé des faits reprochés, à l’appui du renvoi pour jugement, et la référence au prononcé pénal n’est pas prévue par la loi et, partant, n’est pas admissible. Cela étant, la question de savoir si cela vaut également en cas d’accusation subsidiaire peut rester ouverte, puisque A. a été reconnu coupable de soustraction intentionnelle, conformément aux conclusions principales de l’AFD. En outre, dans la mesure où la motivation subsidiaire de l’AFD ne contenait pas de compléments de l’état de fait reproché, lequel était suffisamment délimité par le prononcé pénal, ce dernier remplissait suffisamment ses fonctions de délimitation et d’information. Les conditions posées par les art. 73 al. 2 DPA et 325 CPP étaient donc remplies (c. 2.4).
Dans un second grief, A. faisait valoir que la prescription de l’action pénale était tout au plus de sept ans à compter de la commission de l’infraction, de sorte que c’était à tort que l’instance précédente avait cumulé le délai de prescription pour engager une procédure pénale (prescription dite d’introduction; Einleitungsverjährung), qui est de sept ans (art. 105 al. 1 let. c LTVA), avec le délai de prescription qui concerne l’exécution de ladite procédure (prescription d’exécution; Durchführungsverjährung), qui est de cinq ans (art. 105 al. 4 LTVA).
Le TF rejette cet argument, considérant que les deux délais de prescription précités peuvent s’additionner, pour autant que la procédure pénale est engagée dans les sept ans qui suivent la survenance des faits incriminés et qu’elle aboutit a minima à un prononcé pénal de l’administration dans les cinq ans qui suivent le début de la procédure (c. 3.3). Le délai de prescription dans le domaine de la LTVA peut donc aller jusqu’à 12 ans, ce qui diffère de manière significative des règles qui ont habituellement cours à l’aune de l’art. 11 DPA, où prévaut en principe un délai plafonné par la jurisprudence à 7 ans (ATF 143 IV 228 c. 4.4). Une autre différence notable entre ces deux lois concerne la suspension du délai de prescription, puisque l’art. 105 al. 4 LTVA ne l’envisage pour l’exécution de la procédure que pendant le laps de temps où le prévenu se trouve à l’étranger, alors que l’art. 11 al. 3 DPA prévoit un mécanisme de suspension plus large lorsqu’un contentieux administratif parallèle est en cours (c. 3.4).
Dans un troisième et dernier grief, l’AFD et A. ont contesté la fixation de la peine par l’instance précédente.
Dans le jugement querellé, l’Obergericht de Zurich avait adopté le point de vue selon lequel les différentes amendes en cas de soustractions multiples de l’impôt sur les importations ne devaient pas être cumulées, mais fixées selon les principes régissant le concours d’infractions, en calculant l’amende sur la base de l’infraction la plus grave et en l’augmentant dans une juste proportion, eu égard aux autres infractions commises. Cette approche est désavouée par le TF dans son arrêt du 12 novembre 2021, aux termes d’une argumentation particulièrement fouillée et instructive (c. 4).
En matière de concours d’infractions, l’art. 49 al. 1 CP consacre le principe dit de l’aggravation ("Asperationsprinzip") pour le cas où l’auteur remplit, par un (concours idéal) ou plusieurs (concours réel) actes, les conditions de plusieurs peines de même genre. Dans un tel cas, le tribunal doit condamner le prévenu à la peine de l’infraction la plus grave et l’augmente d’au maximum la moitié. Par contraste, selon l’art. 9 DPA, en droit pénal administratif, "[l]es dispositions de l’art. 68 [actuellement: 49 CP] sur le concours d’infractions ou de lois pénales ne sont pas applicables aux amendes ou aux peines prononcées en conversion d’amendes". Dès lors, en droit pénal administratif, on applique en principe le cumul des amendes au stade de la fixation de la peine, sauf disposition légale spéciale contraire.
Citant les Messages du Conseil fédéral concernant le projet de DPA et de LTVA (FF 1971 I 993 ss, 1006 ; FF 1997 II 389 ss, 426 s.), le TF rappelle que la ratio legis de l’art. 9 DPA réside dans le fait qu’en cas de concours entre une infraction de droit pénal commun et une infraction à une loi administrative, la première devra être prononcée en première instance par un tribunal et la seconde par l’administration, de sorte qu’une compétence commune ferait défaut dans bon nombre de cas. L’institution d’une amende globale ne serait pas réalisable en droit pénal administratif, étant précisé également que l’art. 9 DPA s’applique aussi bien en cas d’infractions à plusieurs lois administratives qu’en cas d’infractions à une même loi (c. 4.5.1).
Valant exception de l’exception, l’art. 101 LTVA prévoit toutefois que l’art. 9 DPA n’est pas applicable (al. 1). En lieu et place, l’art. 101 al. 4 et 5 LTVA contient des dispositions spéciales qui entrainent l’applicabilité du principe de l’aggravation, mais limité à certains cas spécifiques. À ce sujet, si l’acte punissable constitue à la fois une soustraction ou un recel de l’impôt sur les importations et une infraction à d’autres dispositions fédérales poursuivie par l’AFD (depuis le 1er janvier 2022: l’OFDF), la peine est celle qui sanctionne l’infraction la plus grave et peut être augmentée dans une juste proportion (art. 101 al. 4 LTVA). Aussi, si, en raison d’un ou de plusieurs actes, l’auteur réalise les éléments constitutifs de plusieurs infractions qui ressortissent à l’AFC, la peine est celle qui sanctionne l’infraction la plus grave et peut être augmentée dans une juste proportion (art. 101 al. 5 LTVA).
Dès lors, si l’acte entre dans le domaine de compétence de l’AFD (désormais, l’OFDF), comme c’était le cas dans l’espèce portée au TF (art. 103 al. 2 LTVA), le principe d’aggravation n’est applicable qu’en cas de concours idéal, soit en présence d’un seul acte qui réalise plusieurs infractions ("l’acte punissable (…)", art. 104 al. 4 ab initio LTVA). Le TF considère qu’une application du principe de l’aggravation à diverses soustractions d’impôt commises en concours réel – c’est-à-dire la non-déclaration de marchandises lors de leur importation en Suisse à différents moments ou en différents lieux – aurait pour conséquence que l’auteur qui importe simultanément en Suisse une grande quantité d’une marchandise déterminée sans déclarer la TVA risquerait une amende plus élevée, pouvant aller jusqu’au double de l’avantage fiscal total (cf. art. 97 al. 1 phr. 2 LTVA), que s’il avait importé la même marchandise divisée en plusieurs livraisons partielles en plusieurs jours et/ou lieux différents (c. 4.5.5).
Le TF précise logiquement que le principe ancré à l’art. 101 LTVA s’applique également dans la procédure judiciaire postérieure, lorsque l’accusé demande à être jugé par un tribunal ensuite d’un prononcé pénal (c. 4.6).
In casu toutefois, le TF observe que, l’hypothèse envisagée par l’art. 101 al. 4 LTVA n’est pas réalisée, dans la mesure où l’affaire portée devant lui porte sur diverses soustractions à l’impôt sur les importations commises en concours réel, et non un seul acte constituant à la fois une soustraction de l’impôt et une infraction à une autre disposition. Partant, il n’existait pas de dérogation au principe de cumul ancré à l’art. 9 DPA, qui s’applique sans restriction aux soustractions de l’impôt sur les importations commis en Suisse à différents moments ou en différents lieux (c. 4.7).
Par conséquent, le recours de l’AFD a été admis et l’affaire renvoyée à l’instance précédente pour nouvelle décision. Le tribunal zurichois devra donc redéfinir l’amende infligée à A., selon le principe du cumul des amendes ancré à l’art. 9 DPA.
Finalement, il est à noter que le TF laisse ouverte la question de savoir comment l’amende doit être calculée dans le cadre de l’art. 101 al. 4 et 5 LTVA. Il souligne toutefois que le principe d’une peine d’ensemble selon l’art. 49 al. 1 CP ne peut pas être transposé sans autre au droit pénal fiscal, puisqu’en matière de soustraction d’impôt, l’art. 97 al. 1 phr. 2 LTVA ne fixe pas de plafond abstrait pour le montant de l’amende (contrairement aux infractions de droit pénal commun), mais se base sur le montant des impôts soustraits. Ainsi, il n’existe pas de "maximum légal de […] genre de peine", selon les termes de l’art. 49 al. 1 CP (c. 4.8).
L’arrêt ici signalé apporte des clarifications et précisions bienvenues aux principes régissant le cumul, respectivement le concours des peines en droit pénal administratif. Toutefois, nous relèverons que, si un concours réel de soustractions à l’impôt sur les importations n’emporte pas l’application de l’art. 101 al. 4 LTVA, il en va différemment en cas d’infractions multiples à l’impôt grevant les opérations réalisées sur le territoire suisse et à l’impôt sur les acquisitions. En effet, de telles infractions relèveraient de la compétence de l’AFC et emporteraient ainsi l’applicabilité de l’art. 101 al. 5 LTVA. Or, cette disposition prévoit une exception à l’art. 9 DPA tant en cas de concours idéal qu’en cas de concours réel ("en raison d’un ou de plusieurs actes (…)"). À notre sens, cet élément revient à créer une différence de traitement selon l’autorité compétente pour poursuivre l’infraction en cause, dans des situations qui pourtant paraissent objectivement comparables.
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Adam Zaki, Prescription et concours en matière de soustractions multiples à l’impôt sur les importations, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 19 janvier 2022
Teilen:
Beitrag kommentieren
Ihr Kommentar wird nach einer Prüfung freigeschaltet.