Récusation du Fonctionnaire enquêteur et prescription de l'action pénale
Aux termes d'un jugement du 2 mars 2021 (SK.2020.48; consultable à l'adresse: http://Lawsearch Cache (weblaw.ch), la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral (TPF) a été amenée à traiter de la question de la prescription de l'action pénale, survenue à la suite d'une procédure de récusation d'un Fonctionnaire enquêteur du Département fédéral des finances (DFF). L'affaire concerne une possible violation de l'obligation de communiquer selon l'art. 37 LBA, mais les considérants du TPF relatifs à la prescription ont vocation à s'appliquer à toute procédure pénale administrative.
Aux termes de son jugement du 2 mars 2021, le TPF a constaté que l'infraction reprochée au prévenu était prescrite et par conséquent prononcé le classement de la procédure. A noter que le jugement ici signalé n'est pas encore définitif, puisqu'il a été porté par le DFF auprès de la Cour d'appel du TPF, transmis récemment à la Cour des plaintes du TPF pour raison de compétence (CA.2021.6).
En substance, les faits pertinents sont les suivants:
- A la suite d'une dénonciation émanant d'investisseurs lésés, le DFF a ouvert une procédure pénale administrative en juin 2016 pour violation présumée de l'obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d'argent (art. 37 al. 1 LBA) commise de septembre 2010 à mars/avril 2012.
- Dans le cadre de l'instruction, le prévenu avait sollicité auprès du DFF, par courriers des 10 et 17 janvier 2019, la récusation du Fonctionnaire enquêteur en charge de l'affaire, au motif que celui-ci s'était rendu à la FINMA pour consulter des pièces qui figuraient aussi dans le dossier de la procédure pénale administrative mais qui avaient été placées sous scellés.
- La demande de récusation n'ayant pas été admise par le DFF, celui-ci a rendu un mandat de répression en février 2019 puis, sur opposition du prévenu, un prononcé pénal en mars 2019.
- Par décision du 15 avril 2019, le TPF a récusé le Fonctionnaire enquêteur en charge de l'instruction. Tous les actes officiels auxquels l'agent récusé avait participé ont été annulés (art. 60 al. 1 CPP), en particulier le procès-verbal final (art. 61 DPA), le mandat de répression (art. 64 DPA) et le prononcé pénal du DFF (art. 70 DPA).
- Le DFF a alors été obligé de réémettre ses décisions, pour finalement rendre un nouveau prononcé pénal le 16 septembre 2020, déclarant le prévenu coupable de violation de l'obligation de communiquer des soupçons au MROS pour la période du 4 septembre 2010 au 4 avril 2012.
- Le 18 septembre 2020, le prévenu a demandé à être jugé par le tribunal (art. 72 DPA) et a soulevé la question de la prescription de sept ans sur faits reprochés (art. 52 LFINMA).
Dans le cas d'espèce, le TPF a d'abord examiné la question de savoir si le délai de prescription était suspendu durant une procédure de recours contre une décision d'interdiction prononcée par la FINMA à l'égard d'un autre employé de la même banque, pour violation des obligations de diligence et de clarification en lien avec les relations d'affaires visées par la présente procédure. Conformément à l'art. 11 al. 3 DPA, "[e]n matière de délits et de contraventions, la prescription est suspendue pendant la durée d'une procédure de réclamation, de recours ou d'une procédure judiciaire concernant l'assujettissement à la prestation ou à la restitution ou sur une autre question préjudicielle à trancher selon la loi administrative spéciale ou tant que l'auteur subit à l'étranger une peine privative de liberté". Toutefois, dans la mesure où la question de l'interdiction prononcée par la FINMA relève du droit de la surveillance et est indépendante de la question de la violation de l'obligation de communiquer, le délai de prescription n'a pas été suspendu. Par ailleurs, il n'était pas pertinent dans le cas d'espèce de connaître l'issue de la procédure parallèle pour juger le prévenu pour une possible violation de l'art. 9 LBA (c. 3.2).
Ensuite, le TPF est revenu, une nouvelle fois, sur la question controversée de savoir si le prononcé pénal du DFF peut être assimilé ou non à un "jugement de première instance", interruptif de la prescription de l'action pénale aux termes des art. 97 al. 3 CP cum art. 2 DPA. Sans surprise, le TPF a appliqué la jurisprudence désormais constante du Tribunal fédéral en la matière (cf. notamment TF, 6B_786/2020 du 11 janvier 2021) et donc retenu que c'est le prononcé pénal – et non le jugement postérieur du TPF (art. 72, art. 79 DPA) – qui interrompt le cours de la prescription, pour autant qu'il ne s'agisse pas d'un jugement par défaut (c. 3.3.4 à 3.3.7). Le TPF a néanmoins fait état d'une critique doctrinale de plus en plus unanime et semble même lui donner quelque crédit ("Die Kritik aus der Lehre ist zwar teilweise nachvollziehbar", c. 3.3.7). Il s'agit là d'un signe certes timide, mais pas moins encourageant pour ceux qui sont "montés au créneau" ces dernières années contre la jurisprudence du TF en la matière (cf. parmi d'autres Macaluso/Garbarski, 6B_207/2017: La prescription de l'action pénale en droit pénal administratif: confirmation d'une jurisprudence critiquable, in PJA 2018 p. 117). Cela démontre également que la solution passera par une modification de la DPA, comme désormais envisagé dans le cadre de la révision en cours sur l'harmonisation des peines et l'adaptation du droit pénal accessoire au nouveau droit des sanctions (objet 18.043), ainsi que l'a signalé récemment Friedrich Frank sur ce blog (http://Verwaltungsstrafrecht | Strafverfügung und Verjährung (Art. 11 Abs. 3bis E-VStrR)).
Enfin, en ce qui concerne le point de savoir si, comme le soutenait le DFF, le premier prononcé pénal, annulé à la suite de la récusation du Fonctionnaire enquêteur, avait néanmoins déployé un effet interruptif de la prescription, le TPF y a répondu par la négative (c. 3.3.7). En effet, en l'absence de disposition topique dans la DPA, il y a lieu d'appliquer l'art. 60 CPP par analogie, dont il découle notamment que les actes de procédure annulés pour cause de récusation doivent être retirés du dossier de la procédure, conformément à l'art. 141 al. 5 CPP et ne sauraient être exploités. Ainsi, en l'espèce, les actes de procédure annulés ensuite du Fonctionnaire enquêteur et notamment le premier prononcé pénal émis en mars 2019 ne pouvaient déployer aucun effet juridique (c. 3.3.7.3). En tout état de cause, le TPF rappelle que, selon la jurisprudence susvisée du TF (TF, 6B_786/2020, c. 1.5), pour que le prononcé pénal puisse être assimilé à un jugement de première instance interruptif de la prescription de l'action pénale, il doit être fondé sur une base circonstanciée et être rendu dans une procédure contradictoire. Or selon le TPF, tel n'est précisément pas le cas lorsque, comme en l'espèce, le prononcé pénal de mars 2019 dont le DFF entendait déduire un tel effet interruptif de la prescription avait été privé de tout fondement ensuite de l'annulation des actes de procédure (notamment le procès-verbal final et le mandat de répression) qui le sous-tendaient (c. 3.3.7.4).
Au regard de tous ces éléments, le TPF est logiquement parvenu à la conclusion que la prescription de l'action pénale était survenue le 5 avril 2019, c'est-à-dire avant le nouveau prononcé pénal du DFF rendu en date du 16 septembre 2020. La procédure contre le prévenu a donc été classée, motif pris de la prescription, en application de l'art. 329 al. 4 CPP. Comme mentionné en préambule, l'arrêt du TPF ayant été contesté par le DFF, il conviendra de suivre avec intérêt la suite de cette affaire.
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Adam Zaki, Récusation du Fonctionnaire enquêteur et prescription de l'action pénale, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 9 août 2021
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