Responsabilité de l'entreprise en droit pénal administratif (art. 49 LFINMA)
Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a récemment mis en ligne son jugement du 26 avril 2019 rendu dans la cause SK.2018.47, consultable sous le lien https://bstger.weblaw.ch/pdf/20190426_SK_2018_47.pdf. Ce jugement, qui est entré en force, constitue l’épilogue judiciaire de l’affaire dite de la Banque Cantonale de Fribourg (BCF). Pour rappel, par arrêt du 7 août 2018 (6B_1453/2018, ATF 144 IV 391), le Tribunal fédéral (TF) avait cassé un premier jugement du TPF daté du 23 novembre 2017 (SK.2017.38), aux termes duquel les Juges de Bellinzone avaient retenu que l’action pénale dirigée contre la BCF pour violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent (art. 9 LBA) était prescrite.
La cause avait ainsi été renvoyée au TPF, à charge pour ce dernier d’examiner si et dans quelle mesure une violation de cette obligation pouvait le cas échéant être reprochée à la banque précitée.
Il faut savoir, en effet, que l’affaire de la BCF constitue l’une des (très) rares procédures en matière de violation alléguée de la LBA menées par le Département fédéral des finances (DFF) contre une entreprise, puisque dans la majorité des cas connus, la poursuite est désormais dirigée contre la ou les personne(s) physique(s) susceptible(s) d’avoir commis l’infraction réprimée par l’art. 37 LBA.
Dans le cas d’espèce, le TPF a d’abord examiné – et répondu par l’affirmative – à la question de savoir si une violation de l’obligation de communiquer avait effectivement été commise au sein de la BCF (cf. c. 5 du jugement). S’agissant de la durée de l’obligation de communiquer, faisant écho à la récente jurisprudence (ATF 144 IV 391), le TPF rappelle que l’ouverture d’une enquête judiciaire ne « [met] pas fin, de facto, à l’obligation de communiquer. Une telle obligation subsiste en effet tant que les autorités pénales n’ont pas connaissance du sort des valeurs pouvant être liées au blanchiment, soit tant que celles-ci peuvent encore leur échapper » (c. 5.8.1). Par ailleurs, le TPF déduit, à notre avis à juste titre, de la jurisprudence précitée (ambigüe sur ce point) que ce n’est pas le séquestre effectif des valeurs patrimoniales qui met un terme à l’obligation de communiquer, mais bien le moment où les autorités de poursuite sont nanties des informations pertinentes qui leur permettent d’appréhender les valeurs, indépendamment de leur blocage effectif. En ce qui concerne le périmètre et le contenu des informations dont les autorités de poursuite pénale doivent impérativement disposer pour être mises en état d’ordonner le séquestre, la référence faite par le TF dans l’arrêt susvisé à l’art. 3 OBCBA, référence reprise par le TPF dans son jugement du 26 avril 2019, n’a de sens, selon nous, que dans la mesure où les informations concernées sont véritablement utiles à la découverte et au séquestre des valeurs patrimoniales. Il en découle que la non transmission d’informations entrant certes dans le périmètre de l’art. 3 OBCBA mais qui sont sans pertinence pour ordonner un séquestre ou qui sont superflues car déjà connues de l’autorité pénale n’est pas de nature à retarder la fin de l’obligation de communiquer. On relèvera encore que la responsabilité pénale de l’intermédiaire financier n’est pas destinée à pallier l’éventuelle incurie des autorités de poursuite pénale auxquelles il incombe prioritairement, une fois nanties des faits essentiels dont ressort le soupçon de commission d’une infraction pénale, de procéder activement aux mesures d’investigation précises qui permettent d’appréhender les valeurs patrimoniales en lien avec cette infraction ; en d’autres termes, l’intermédiaire financier ne doit pas être le garant de la diligence de l’autorité de poursuite pénale.
Une fois la violation de l’obligation de communiquer établie du point de vue objectif, étant donné que la communication effectuée était intervenue avec plusieurs mois de retard, le TPF s’est attaché à vérifier si le DFF était autorisé à imputer l’infraction de l’art. 37 LBA à la BCF, en lieu et place des personnes physiques ayant agi en son sein, sur le fondement de l’art. 49 LFINMA (c. 5.11). En bref, aux termes de cette disposition, l’autorité peut renoncer à poursuivre les personnes punissables et condamner à leur place l’entreprise au paiement de l’amende, à la double condition que (i) l’enquête rendrait nécessaire à l’égard des personnes physiques punissables selon l’art. 6 DPA des mesures d’instruction hors de proportion par rapport à la peine encourue, et (ii) l’amende entrant en ligne de compte dans le cas d’espèce ne dépasse pas CHF 50'000. Cette deuxième condition ne posait pas de difficulté particulière en l’espèce, puisque le DFF avait infligé une amende de CHF 8'000 à la BCF à l’appui de son prononcé pénal. En revanche, le TPF estime que la première condition n’était pas réalisée, car le DFF n’avait entrepris aucune démarche en vue de tenter d’identifier la ou les personnes physiques punissables, avant d’infliger l’amende à la BCF (c. 5.11.4 et 5.11.5). Or, selon la jurisprudence (TF, 6B_256/2007 du 15 octobre 2007) et la doctrine (Garbarski/Macaluso, PJA 7/2008, p. 843) relative à l’art. 7 DPA, dont le mécanisme est repris mutatis mutandis par l’art. 49 LFINMA, ces dispositions ne sauraient être interprétées comme des « oreillers de paresse » en faveur de l’autorité de poursuite. Celle-ci doit donc toujours procéder à un minimum d’actes d’investigation avant d’envisager de sanctionner l’entreprise à la place des personnes physiques.
Par ailleurs, selon le TPF, le risque de prescription de l’action pénale n’est pas un motif qui permettrait de justifier l’application de l’art. 49 LFINMA. Il faut savoir, en effet, que dans la présente affaire, les faits remontaient à juin 2010, mais le DFF n’avait été saisi qu’en août 2016 d’une dénonciation pour une possible violation de l’art. 9 LBA, cette dénonciation ayant entraîné, en février 2017, l’ouverture d’une procédure de droit pénal administratif. Dès lors que l’infraction de l’art. 37 LBA est sujette à un délai de prescription de sept ans (cf. art. 52 LFINMA), le court laps de temps disponible rendait difficile la recherche et de la sanction des auteurs physiques avant l’intervention de la prescription, ce d’autant que le DFF avait attendu 6 mois, depuis la dénonciation, avant même que d’ouvrir formellement la procédure ; cette crainte de la prescription semble a priori être la seule raison pour laquelle le DFF a tenté de faire application de l’art. 49 LFINMA. On peut d’ailleurs sérieusement s’interroger quant à l’opportunité de la poursuite engagée par le DFF en 2017 et de l’énergie déployée par l’autorité tout au long de la procédure judiciaire, dans des conditions aussi précaires, compte tenu également de l’amende relativement modeste requise (CHF 8'000). Au final, non seulement la BCF a été acquittée par le TPF, mais ce dernier lui a par ailleurs accordé une indemnité pour honoraires encourus de quelque CHF 31'600 au total, à la charge de la Confédération.
Si le jugement du TPF doit être approuvé dans l’interprétation juridique correcte qu’il propose du rapport entre les art. 6 DPA et 49 LFINMA, il confirme en revanche, de manière inquiétante, le bien-fondé juridique de la politique répressive mise en œuvre ces dernières années par le DFF en matière de poursuite des violations alléguées des art. 9 cum 37 LBA : les personnes physiques, et tout particulièrement les membres des services de compliance, sont en première ligne de la répression. On peut en revanche douter de la pertinence et de l’efficacité des poursuites tous azimuts menées dans ce contexte…
Proposition de citation: Andrew Garbarski/Alain Macaluso, Responsabilité de l’entreprise en droit pénal administratif (art. 49 LFINMA), in: www.verwaltungsstrafrecht.ch du 27 juin 2019
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