Soustraction d’impôt anticipé et prescription de l’action pénale
Le présent signalement concerne l’arrêt du Tribunal fédéral (TF) 6B_1005/2021 du 29 janvier 2024 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=6B_1005%2F2021&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F29-01-2024-6B_1005-2021&number_of_ranks=24), destiné à la publication aux ATF. Dans cette affaire, l’administratrice d’une société anonyme avait été condamnée à une peine d’amende pour soustraction d’impôt anticipé aux termes de l’art. 61 let. a de la Loi fédérale sur l’impôt anticipé (LIA), en lien avec le produit de liquidation de l’entreprise distribué en 2011. Entre autres griefs développés à l’appui de son recours au TF, la recourante contestait non seulement le point de départ, mais également la fin du délai de prescription de l’action pénale et faisait valoir dans ce cadre que le prononcé pénal, émis le 12 juillet 2019 par l’Administration fédérale des contribution (AFC), était intervenu tardivement, alors que la prescription était déjà acquise.
Le TF rappelle, tout d’abord, qu’en vertu de l’art. 11 al. 2 aDPA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2023), lu en combinaison avec l’art. 333 al. 6 let. b aCP, le délai de prescription de l’action pénale applicable à l’art. 61 LIA est en soi de dix ans, plafonné toutefois par la voie prétorienne à sept ans, pour ne pas dépasser le délai applicable à certains délits de droit pénal commun (c. 1.2.3 et les références citées, notamment ATF 143 IV 228, c. 4.4). Le TF observe, incidemment, que cette jurisprudence a été depuis lors codifiée à l’art. 11 al. 2 DPA, dans le contexte de la Loi fédérale sur l’harmonisation des peines, entrée en vigueur le 1er juillet 2023.
Le TF rappelle ensuite que le délai de prescription de l’action pénale commence à courir le lendemain de la commission de l’infraction pénale (le jour où l’auteur commet son forfait n’est pas compté). Le moment où intervient le résultat de l’infraction n’importe pas, ce qui signifie que la prescription peut être acquise alors que le résultat ne s’est pas encore matérialisé (c. 1.2.3).
En ce qui concerne plus particulièrement la soustraction de l’impôt anticipé (art. 61 let. a LIA), le comportement incriminé par cette infraction consiste en toute action ou omission qui empêche qu’une prestation en argent soumise à l’impôt anticipé ne soit correctement appréhendée par l’autorité fiscale. En principe, lorsqu’une société envoie ses comptes annuels à l’AFC dans lesquels les prestations assujetties à l’impôt ne sont pas mentionnées, le délai de prescription de l’action pénale commence à courir le lendemain de l’envoi (c. 1.2.3 et ATF 143 IV 228, c. 4.6.2). En revanche, si une société n’envoie pas ses comptes annuels à l’AFC, il y a lieu, selon le TF, de se baser sur le délai de déclaration de 30 jours dont dispose l’art. 21 al. 1 de l’Ordonnance sur l’impôt anticipé (OIA). En outre, si la société ne tient pas d’assemblée générale au cours de laquelle les comptes annuels auraient pu être approuvés, le délai de prescription de l’action pénale débute 30 jours après l’échéance du délai de six mois dont dispose le Code des obligations (art. 699 al. 2 CO [pour la société anonyme] et art. 805 al. 2 CO [pour la société à responsabilité limitée]), dès la clôture d’un exercice, pour la tenue de l’assemblée générale (c. 1.2.3 in fine).
Dans le cas d’espèce porté au TF, dès lors que la société n’avait ni tenu d’assemblée générale, ni transmis ses comptes annuels à l’AFC, le délai de prescription de l’action pénale avait commencé à courir le 30 juillet 2012, soit 30 jours après l’échéance du délai de six mois, correspondant au 30 juin 2012, pour la tenue de l’assemblée générale relatif à l’exercice 2011, au cours duquel était intervenue la prestation en argent litigieuse. Le délai de prescription de l’action pénale était ainsi arrivé à échéance le 30 juillet 2019, c’est-à-dire après l’émission du prononcé pénal de l’AFC du 12 juillet 2019 (c. 1.2.4).
Cela étant, la recourante faisait valoir qu’indépendamment du dies a quo et du dies ad quem du délai de prescription, le prononcé pénal de l’AFC ne pouvait pas être assimilé à un jugement de première instance aux termes de l’art. 97 al. 3 CP. La recourante sollicitait un revirement de la jurisprudence désormais constante du TF, laquelle retient qu’un prononcé pénal de l’administration interrompt la prescription de l’action pénale s’il est rendu à l’issue d’une procédure contradictoire et repose sur une base circonstanciée (ATF 147 IV 274 et les références citées). Dans l’arrêt ici signalé, le TF passe en revue et résume la jurisprudence qu’il a rendue, ces dernières années, sur la question ainsi que les motifs qui la sous-tendent, tout en posant le constat que la recourante n’a pas démontré à satisfaction de droit en quoi les conditions pour un revirement de jurisprudence seraient réunies. Le TF s’en tient ainsi à sa jurisprudence constante (c. 1.3.4).
Or, étant donné que le prononcé pénal de l’AFC était, selon le TF, intervenu à l’issue d’une procédure contradictoire, contrairement à ce que faisait valoir la recourante, il avait interrompu valablement le délai de prescription de l’action pénale. En outre, le fait que l’AFC avait rendu son prononcé pénal alors que la recourante avait, au stade de son opposition au mandat de répression, demandé à être jugée directement par un tribunal (art. 71 DPA), n’y change rien selon le TF, car l’AFC avait motivé sa décision et sa motivation se situait dans les limites de son appréciation (c. 1.3.5).
A ce stade de la narration, nous ne pouvons que renvoyer à nos précédentes critiques de la jurisprudence du TF (qualifiée de « falsch » par Konrad Jecker, https://www.strafprozess.ch/vstrr-strafverfuegung-als-verjaehrungsrechtliches-urteil-das-bundesgericht-besteht-auf-seiner-falschen-rechtsprechung/) et réitérer qu’il est incompréhensible qu’une décision de l’administration, qui par l’effet de la demande de jugement (art. 72 DPA) cesse d’exister ab ovo comme prononcé à portée juridictionnelle, puisse néanmoins se voir reconnaître un effet de droit matériel aussi important que l’interruption de la prescription de l’action pénale. Le fait que le juge indépendant et impartial appelé à juger le prévenu puisse librement revoir cette question (voir c. 1.3.4), n’y change par ailleurs rien.
En effet, l’enjeu n’est pas, selon nous, de savoir si le juge est habilité à vérifier si la prescription a été valablement interrompue par le prononcé pénal de l’administration. En réalité, l’incompréhension suscitée par la jurisprudence critiquée et critiquable du TF découle du fait qu’une décision (i) émanant d’une autorité administrative qui n’est pas un juge indépendant et impartial aux termes de l’art. 6 CEDH, (ii) ayant été mise à néant par l’effet de la demande de jugement, puisse (iii) néanmoins déployer des effets de droit matériel, typiquement celui visant à interrompre la prescription de l’action pénale.
Incidemment, le fait que le TF ait dû si souvent justifier sa jurisprudence controversée, au cours de ces dernières années (voir encore récemment ATF 147 IV 274 et les autres arrêts cités par le TF dans la décision ici signalée), constitue tout de même un indicateur de son caractère insatisfaisant et devrait selon nous amener notre Haute Cour à sérieusement questionner le bienfondé de sa pratique. Le nombre de recours portés au TF sur la question démontre que la jurisprudence pose objectivement problème, voire qu’elle heurte profondément le sentiment de justice auprès des justiciables concernés : ceux-ci ne comprennent pas et ne sauraient se résoudre à accepter que la prescription de l’action pénale a cessé de courir déjà au stade de l’administration et que le jugement rendu par le tribunal indépendant et impartial auquel ils font appel, précisément parce qu’ils contestent la décision de l’administration, soit d’emblée privé de tout effet sur le cours de la prescription de l’action pénale (art. 97 al. 3 CP).
Un dernier grief développé par la recourante concernait la validité de l’accusation ; en bref, elle faisait valoir, sur la base de l’art. 73 al. 1 2ème phrase DPA, qu’en l’absence de décision de l’AFC portant sur l’assujettissement à l’impôt anticipé, elle ne pouvait être renvoyée en jugement. Se référant à une ancienne jurisprudence (ATF 116 IV 223), le TF rappelle que l’art. 73 al. 1 DPA est effectivement lacunaire, en tant que la disposition ne règle pas les cas où aucune décision concernant une prestation ou une restitution n’a été rendue (c. 2.4.2). Or, lorsqu’une telle décision ne peut plus être rendue, notamment comme en l’espèce parce que la société assujettie à l’impôt a été radiée du registre du commerce, le risque de décisions contradictoires entre le contentieux administratif et la procédure pénale administrative disparaît, de sorte que le renvoi en jugement en deux temps, tel que prescrit par l’art. 73 al. 1 2ème phrase DPA, n’a plus de raison d’être. Aussi, dans ce type de constellation, l’administration fédérale doit pouvoir transmettre le dossier au ministère public, à l’intention du tribunal compétent. Toute autre interprétation serait contraire à l’esprit de la loi et reviendrait, selon le TF, à faire « stagner » le mandat de répression ou le prononcé pénal frappés d’opposition au niveau de l’administration, voire déboucherait obligatoirement sur un classement de la procédure pénale administrative. Sur ce dernier point, l’approche suivie par le TF nous paraît bienfondé et n’appelle pas de commentaire particulier.
Proposition de citation : Andrew Garbarski, Soustraction d’impôt anticipé et prescription de l’action pénale, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 4 mars 2024
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