Violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent (art. 37 LBA) : le compliance officer ne répond pas des éventuels manquements du service juridique de la banque
ILe Tribunal pénal fédéral (TPF) a récemment mis en ligne son jugement du 25 mars 2019 rendu dans la cause SK.2018.32, consultable sous le lien https://bstger.weblaw.ch/pdf/20190325_SK_2018_32.pdf. Ce jugement traite de la violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent aux termes de l’art. 37 LBA, un sujet dont la pertinence et l’actualité se reflètent dans le nombre de décisions rendues ces derniers mois dans ce domaine (voir, par exemple, TPF, SK.2018.42 du 26 avril 2019, avec commentaire de Garbarski/Macaluso sur ce blog, ainsi que ATF 144 IV 391).
Le jugement du 25 mars 2019 prononce l’acquittement du prévenu, un ancien responsable de l’unité compliance pour la Suisse romande d’une grande banque suisse. Illustration de la détermination avec laquelle le Département fédéral des finances (DFF) poursuit l’infraction précitée, ce jugement a cependant fait l’objet d’un appel du DFF auprès de la Cour d’appel du TPF, laquelle est en fonction depuis le 1er janvier 2019. Vu que le jugement du 25 mars 2019 n’est pas encore définitif et afin de ne pas préjuger de la décision de la Cour d’appel, nous nous contenterons à ce stade d’un très bref signalement.
En substance, le TPF a retenu à l’appui de son jugement d’acquittement que:
- les informations dont le prévenu avait été nanti dans le cadre du processus de clarification engagé par l’agence régionale de la banque, en coordination avec le service compliance avant le 16 mai 2011, c’est-à-dire en amont de l’exécution des opérations ordonnées par le client et de la clôture de la relation bancaire concernée, ne suffisaient pas à fonder un soupçon d’origine criminelle ou de blanchiment d’argent. Autrement dit, aucune violation de l’obligation de communiquer aux termes de l’art. 37 LBA ne pouvait être reprochée au prévenu (c. 4.5.7) ;
- s’agissant de la période postérieure au 16 mai 2011, quand bien même le service juridique de la banque avait été informé par le Ministère public fribourgeois le 20 mai 2011 de l’ouverture d’une procédure pénale pour brigandage, impliquant notamment la relation d’affaires litigieuse, le service compliance n’était pas tenu de procéder à une communication au MROS car celle-ci aurait constitué un doublon inutile. Le prévenu, qui avait été informé le 23 mai 2011 de l’ordonnance du Ministère public, ne pouvait donc pas non plus se voir reprocher un manquement à l’obligation de communiquer dans ce contexte (c. 4.5.9) ;
- dès la réception de l’ordonnance du Ministère public du 20 mai 2011, il appartenait cependant à la banque de transmettre sans tarder à l’autorité de poursuite pénale les documents requis par cette dernière, lesquels étaient nécessaires pour placer le procureur en état de découvrir et confisquer les valeurs patrimoniales impliquées dans la relation d’affaires concernée (c. 4.5.9) ;
- dans la mesure où le service juridique de la banque n’avait transmis au Ministère public fribourgeois, le 27 mai 2011, que des informations jugées incomplètes rendant nécessaires des échanges épistolaires supplémentaires avant que l’autorité de poursuite ne dispose, le 6 juin 2011, de renseignements complets, notamment en rapport avec les transferts opérés au débit de la relation d’affaires litigieuse, il en découlait, selon le TPF, que la banque avait partiellement enfreint son obligation de communiquer entre les deux dates précitées (c. 4.6.1) ;
- selon la règlementation interne de la banque, le traitement des demandes émanant des autorités judiciaires, notamment pénales, incombait toutefois au service juridique de la banque et non au service compliance. Aussi, quand bien même ce dernier ainsi que plus particulièrement le prévenu étaient informés de l’ordonnance de production du Ministère public fribourgeois, les deux services constituaient des unités indépendantes l’une de l’autre au sein de la banque. Dans ces circonstances, le prévenu pouvait, de bonne foi, partir du principe que le service juridique de la banque allait honorer rapidement et de manière exhaustive la demande du Ministère public fribourgeois. La violation de l’obligation de communiquer commise par la banque entre le 27 mai et le 6 juin 2011 ne pouvait donc pas être imputée au prévenu, ni d’ailleurs en qualité de garant (art. 6 al. 2 DPA), puisque le prévenu n’avait aucune obligation juridique, en tant que responsable du département compliance, de s’assurer et de garantir que le service juridique transmette au Ministère public fribourgeois tous les documents requis par ce dernier aux termes de son ordonnance du 20 mai 2011 (c. 4.7.4).
Le jugement du TPF du 25 mars 2019 nous paraît notamment intéressant et utile pour la pratique en tant qu’il traite dans le détail du niveau de diligence dont l’intermédiaire financier doit faire preuve lorsqu’il est confronté à des documents qui lui sont transmis par un client dans le cadre du processus de clarification. A cet égard, c’est à juste titre, selon nous, que le TPF a dénié le caractère insolite, respectivement suspicieux des documents justificatifs soumis par le client, au seul motif de clauses – en l’espèce contractuelles – inhabituelles (mais légales) ou encore de fautes d’orthographe qu’ils pourraient contenir (c. 4.5.7).
En outre, la décision du TPF doit également être saluée dans la mesure où elle pose des limites claires à la responsabilité du compliance officer, en tenant compte non seulement de son cahier des charges individuel, mais également de la réglementation interne de la banque, s’agissant de la répartition des compétences entre ses services internes en rapport avec le traitement des ordonnances des autorités de poursuite pénale, d’une part, et des communications au MROS, d’autre part. Si, comme cela semble avoir été le cas en l’espèce, la réglementation interne applicable et sa mise en œuvre correcte devaient ne pas mettre évidence la responsabilité d’une personne déterminée, compte tenu notamment de la ségrégation des compétences qui en résulte, il est exclu de sanctionner un collaborateur de la banque à l’aune de l’art. 37 LBA. Une telle situation s’apparenterait tout au plus à une forme de défaillance organisationnelle collective, laquelle n’est pas punissable en vertu de la disposition précitée, mais éventuellement au travers de l’art. 49 LFINMA et pour autant que ses conditions d’application soient réunies.
On relèvera encore que plusieurs questions préjudicielles avaient été soulevées à l’ouverture des débats devant le TPF, dont celle de la prescription de l’action pénale. Car sans l’effet prétendument interruptif de la prescription reconnu au prononcé pénal par la jurisprudence du Tribunal fédéral, les faits soumis au TPF étaient, en l’espèce, prescrits avant le commencement du procès. Malgré les arguments soulevés par le prévenu, le TPF s’est rallié, sans développement particulier, à la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral (c. 3.2.4 à 3.2.6). Nous avons déjà exposé que cette jurisprudence nous paraît à la fois obsolète dans son fondement (les délais actuels de prescription – 7 ans (cf. art. 52 LFINMA) – permettant de traiter adéquatement ces infractions de degré contraventionnel) et peu compatible avec la réalité des procédures conduites devant l’administration (la procédure menant au prononcé pénal n’étant pas plus complète, ni plus approfondie que celle conduisant au mandat de répression, comme en témoigne d’ailleurs l’affaire jugée par le TPF). En outre, elle instaure une inégalité de traitement malvenue et injustifiée entre le droit pénal administratif et le droit pénal ordinaire (la procédure d’opposition au mandat de répression ne se distinguant guère de l’opposition à l’ordonnance pénale régie par le CPP) (voir sur ces questions Macaluso/Garbarski, PJA 1/2018, 117 ss).
Proposition de citation: Andrew Garbarski/Alain Macaluso, Violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent (art. 37 LBA) : le compliance officer ne répond pas des éventuels manquements du service juridique de la banque, in: www.verwaltungsstrafrecht.ch du 15 juillet 2019
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