Violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent (art. 37 LBA) – les membres de l’organe collégial peuvent devoir en répondre individuellement
Le Tribunal fédéral (« TF ») vient de mettre en ligne l’arrêt 6B_1332/2018 du 28 novembre 2019 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://28-11-2019-6B_1332-2018&lang=de&zoom=&type=show_document), traitant de la violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent aux termes de l’art. 37 LBA.
Saisi d’un recours du Département fédéral des finances (« DFF »), le TF annule le jugement d’acquittement SK.2018.15 qui avait été rendu par le Tribunal pénal fédéral (« TPF ») le 18 octobre 2018 en faveur d’un employé bancaire ayant occupé d’abord la fonction de chef du compliance d’une banque, puis, à la suite d’une fusion, celle de responsable du département legal & compliance de l’établissement financier absorbant. Pour rappel, cette affaire avait ceci de particulier qu’il s’agissait de la première fois que la jurisprudence était amenée à se prononcer sur la responsabilité pénale encourue à l’aune de l’art. 37 LBA lorsque, selon les directives internes de l’intermédiaire financier, la communication de soupçons de blanchiment au MROS n’incombe pas à une personne déterminée mais relève, au contraire, d’un organe collégial, en l’espèce du comité due diligence (voir à ce sujet Garbarski, Violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent : actualités et perspectives, in: Développements récents en droit pénal de l’entreprise, CEDIDAC n° 106, Lausanne 2019, 26 ss).
Le TPF avait considéré que le prévenu, en tant que membre dudit comité, était tout au plus chargé de la mise en œuvre des décisions prises par ce dernier, mais que l’on ne pouvait lui faire personnellement et individuellement grief d’avoir omis de procéder à une communication au MROS.
Cette approche est désavouée par le TF dans son arrêt du 28 novembre 2019 (c. 2.3.1). Se référant très sommairement à la jurisprudence dite « Von Roll » (ATF 122 IV 103), dont se prévalait apparemment le DFF, le TF considère que le membre individuel d’un organe collégial peut se voir personnellement reprocher un manquement à l’obligation de communiquer s’il n’a pas œuvré dans le sens d’une communication qui aurait dû intervenir. Notre Haute Cour laisse en revanche indécise la question de la punissabilité de celui qui, au sein de l’organe collégial, se serait exprimé en faveur d’une communication, mais aurait été minorisé, l’organe collégial décidant majoritairement de renoncer à la communication.
L’arrêt du TF ici rapporté ne manquera pas de faire réagir les intermédiaires financiers assujettis à la LBA, tant il est vrai qu’il pourrait consacrer un nouveau durcissement jurisprudentiel du régime entourant l’obligation de communiquer et ses éventuelles conséquences pénales (voir déjà ATF 142 IV 276 et ATF 144 IV 391). En outre, la référence à l’arrêt « Von Roll » et sa pertinence dans le contexte de l’art. 37 LBA ne sonnent pas non plus comme une évidence. En effet, cet arrêt, rendu à la lumière de la législation sur le matériel de guerre, traite de la responsabilité pénale encourue par un supérieur hiérarchique, lorsque ce dernier se voit reprocher l’absence de mesures organisationnelles censées prévenir la commission d’une infraction au sein d’une entreprise. Dans l’hypothèse où l’obligation de pourvoir à une bonne organisation incombe à un organe collégial, le TF a retenu dans son arrêt « Von Roll » que chaque membre de l’organe collégial répond du résultat dommageable, s’il omet de s’engager pour la mise en œuvre de ladite obligation.
Or, la transposition de cette jurisprudence à l’obligation de communiquer aux termes de la LBA pourrait se heurter à certaines difficultés conceptuelles, notamment parce que cela reviendrait à placer dans une position de garant chaque membre individuel de l’organe collégial considéré. En outre, cela pourrait conduire à faire de l’art. 37 LBA une nouvelle forme d’infraction de mauvaise organisation, alors que celle-ci lui est étrangère et pourrait tout au plus être reprochée à l’entreprise (mais pas aux personnes physiques), en application de l’art. 49 LFINMA. En effet, en laissant ouverte la question du sort de celui des membres de l’organe collégial qui aurait plaidé en faveur d’une communication, mais aurait été minorisé au sein du collège décisionnaire, le TF crée plus d’incertitudes qu’il n’en dissipe : si chaque membre individuel du collège décisionnaire revêt une position de garant en relation à la communication au MROS, alors le simple fait d’avoir identifié le soupçon fondé et opiné en faveur d’une communication pourrait ne pas être suffisant pour échapper à une responsabilité pénale : le garant se voit en effet reprocher son inaction.
Est-ce alors à dire que le membre minorisé devrait passer outre la décision collégiale, et donc la réglementation interne de la personne morale ou de l’entreprise concernée et procéder lui-même à une communication ? Cela ne semble guère envisageable, tant du point de vue des règles générales du droit (en particulier le droit du travail) que de la jurisprudence « Von Roll » citée. L’obligation que le TF a imposé, dans cette jurisprudence « Von Roll », aux membres de l’organe collégial, est en effet dirigée vers l’intérieur de l’entreprise, en vue d’assurer sa correcte organisation ; ce que laisse potentiellement transpirer la jurisprudence ici commentée est d’une autre nature : il s’agirait bien pour le membre individuel de l’organe concerné d’agir vers l’extérieur de l’entreprise, en communiquant au MROS ses soupçons fondés en violation des règles internes de son employeur. En réalité, ce que semble appeler la récente jurisprudence du TF serait plutôt une forme cumulée de responsabilité individuelle des membres de l’organe collectif ayant rejeté la communication, fondée sur l’art. 6 al. 1 DPA et une responsabilité cumulative de l’entreprise sur le fondement combiné des art. 6 al. 2 DPA et 49 LFINMA…
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Alain Macaluso, Violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent (art. 37 LBA) – les membres de l’organe collégial peuvent devoir en répondre individuellement, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 11 décembre 2019
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