Violation de l’obligation de communiquer selon l’art. 37 LBA – scellés – portée du secret professionnel de l’avocat – point de départ de la prescription
L’arrêt 1B_433/2017 rendu par le Tribunal fédéral (« TF ») en date du 21 mars 2018, consultable sur le lien https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://21-03-2018-1B_433-2017&lang=de&zoom=&type=show_document, fait suite à la décision du Tribunal pénal fédéral (« TPF ») rendue le 4 septembre 2017 (BE.2017.2) et commentée sur ce blog en date du 5 décembre 2017.
Ces décisions s’inscrivent dans le contexte d’une procédure de levée des scellés initiée par le Département fédéral des finances (« DFF »), lequel mène une procédure de droit pénal administratif pour infraction à l’art. 9 LBA (violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent, art. 37 LBA). En bref, les décisions précitées traitent du point de savoir si le secret professionnel de l’avocat peut être valablement opposé au séquestre d’un rapport d’enquête interne (y compris ses annexes) lorsque ce dernier est établi par une étude d’avocats, sur mandat d’une banque, afin d’éclaircir des questions relevant de la lutte contre le blanchiment d’argent. Le TPF avait répondu par l’affirmative à cette question dans sa décision du 4 septembre 2017, estimant en particulier les considérants de l’arrêt du TF 1B_85/2016 du 20 septembre 2016 non-pertinents pour le présent cas d’espèce.
Le TF ne partage pas ce point de vue. En référence aux dispositions légales et réglementaires applicables en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, dont découle à la charge des intermédiaires financiers, et plus particulièrement des banques, des obligations particulièrement étendues de documenter les démarches entreprises dans ce domaine et de conserver les documents qui s’y rapportent, le TF en déduit que le secret professionnel ne saurait être invoqué sans réserve. Cela vaut non seulement lorsque l’activité déployée par un avocat pour le compte d’une banque, dans le cadre d’une enquête interne, s’apparente à de l’outsourcing de tâches de compliance, mais également lorsque le mandat conféré au conseil externe revient à lui confier des tâches de controlling et d’auditing destinées à vérifier si et dans quelle mesure la banque s’est effectivement conformée à ses obligations de compliance (consid. 4.13).
Sur ce dernier point, l’arrêt du 21 mars 2018 marque un durcissement supplémentaire par rapport à la jurisprudence rendue jusqu’alors, la place laissée au secret professionnel en cas d’enquête interne dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent étant réduite au strict minimum. Le TF estime, en bref, que de telles clarifications relèvent par principe du département légal et compliance interne d’une banque, même si dans les affaires plus complexes, elles peuvent être confiées à des spécialistes externes qui ne sont pas nécessairement avocats (fiduciaires, sociétés d’audit et de révision, sociétés de conseil, etc.) (consid. 4.6).
Lorsqu’une banque met en œuvre une étude d’avocats dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent, il est partant nécessaire d’examiner au cas par cas le contenu exact du mandat confié, en particulier lorsque celui-ci est « global » respectivement « mixte », afin de dissocier l’activité dite typique, couverte par le secret professionnel, de l’activité accessoire commerciale de l’avocat, laquelle n’est pas couverte par le secret professionnel (consid. 4.13 et 4.16). La cause étant renvoyée au TPF, il appartiendra à ce dernier de procéder au tri des documents séquestrés sur la base de cette dissociation (consid. 4.19 et 5.1).
Une des principales préoccupations du TF est d’éviter que le secret professionnel de l’avocat ne puisse servir à contourner le dispositif légal et réglementaire de lutte contre le blanchiment, respectivement à rendre difficile à l’excès voire impossible les contrôles des autorités notamment de surveillance (FINMA) dans ce domaine. Cette préoccupation nous semble en soi légitime, en particulier si l’objectif visé est de préserver l’intégrité de la place financière suisse. Cela étant, la jurisprudence du TF relative aux enquêtes internes accomplies par des avocats ne s’applique pas sans réserve. D’une part, elle vaut uniquement dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent (à l’exclusion de tout autre domaine) et on peut d’ailleurs se demander si elle s’applique à tout intermédiaire financier soumis à la LBA ou uniquement à ceux qui relèvent de la surveillance prudentielle de la FINMA, au premier rang desquelles les banques. En outre, la motivation avancée par le TF pour limiter la portée du secret professionnel lorsqu’une enquête interne est confiée à une étude d’avocats n’emporte pas la conviction. Le fait que ce type de travail puisse aussi être accompli par un non-avocat (fiduciaire, société d’audit, etc.) ne nous paraît pas être un critère pertinent pour disqualifier le secret professionnel ou pour en restreindre la portée. En effet, il existe plusieurs facettes du métier d’avocat qui peuvent être exercées par des tiers, à l’instar par exemple de la représentation en justice assumée par un agent d’affaires breveté, ou le conseil juridique, sans que cela ne remette en cause l’application du secret professionnel lorsque l’activité est déployée par un avocat. A cela s’ajoute qu’un avocat doit nécessairement connaître et analyser les faits pertinents d’un dossier pour pouvoir donner des conseils juridiques fiables et utiles à son client. Il s’agit d’une réalité qui n’est selon nous pas suffisamment prise en considération par le TF dans sa jurisprudence récente. On ne voit pas pourquoi en effet la composante « établissement des faits », intrinsèquement liée au mandat d’un avocat, devrait être soustraite totalement ou partiellement au secret professionnel dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent.
L’arrêt ici commenté présente un autre intérêt. Le TF confirme en effet incidemment ce qu’avait retenu le TPF dans la décision entreprise s’agissant du point de départ de la prescription de l’action pénale relative à l’infraction de violation de l’obligation de communiquer aux termes de l’art. 37 LBA. Se fondant sur sa propre jurisprudence (ATF 142 IV 276), mais en la clarifiant, le TF relève que le délai de prescription de sept ans applicable commence à courir dès l’ouverture de la procédure préliminaire par l’autorité compétente (« die Eröffnung der Strafuntersuchung im Hauptverfahren »: consid. 4.10). Il sied de préciser ici que, malgré l’utilisation quelque peu malheureuse du terme « Hauptverfahren », qui semble renvoyer à la procédure de première instance (débats) – ce qui n’aurait à l’évidence pas de sens – le TF vise naturellement l’ouverture de la procédure préliminaire (art. 299 ss CPP), dans le contexte de la procédure principale, soit celle relative aux éventuels actes de blanchiment d’argent, par exemple. Cette interprétation de l’ATF 142 IV 276 est bienvenue ; en effet, la formulation retenue alors par le TF pouvait laisser à penser que c’était le prononcé de l’ordonnance de séquestre des valeurs patrimoniales par l’autorité de poursuite pénale qui, en mettant un terme à l’obligation de communiquer de l’intermédiaire financier, constituait le dies a quo du délai de prescription de l’action pénale relative à la contravention dont dispose l’art. 37 LBA. En retenant la position plus explicite du TPF à cet égard, le TF confirme que le moment déterminant pour le départ de la prescription est bien celui où l’autorité de poursuite pénale, suffisamment informée des faits (y compris par une autre source que l’intermédiaire financier) est à même de prononcer les mesures conservatoires utiles et non le moment où il les ordonne effectivement.
Proposition de citation: Alain Macaluso/Andrew Garbarski, Violation de l’obligation de communiquer selon l’art. 37 LBA – scellés – portée du secret professionnel de l’avocat – point de départ de la prescription, in: www.verwaltungsstrafrecht.ch du 23 avril 2018
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