Violation de communiquer des soupçons de blanchiment d'argent - enquête interne - secret professionnel de l'avocat
La Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (« TPF ») a rendu le 13 septembre 2018 un arrêt BE.2018.3, accessible sur le lien https://bstger.weblaw.ch/pdf/20180913_BE_2018_3.pdf, lequel traite en substance de la portée du secret professionnel lorsqu’une enquête interne est menée par ou avec le concours d’une étude d’avocats, sur mandat d’une banque, aux fins d’éclaircir des questions qui touchent à la compliance dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent.
L’arrêt du TPF constitue un nouveau rebondissement dans la procédure de levée de scellés initiée par le Département fédéral des finances (« DFF ») en janvier 2017 ( !), dans le cadre d’une procédure de droit pénal administratif ouverte en juin 2016 pour une possible infraction à l’art. 37 LBA, qui sanctionne la violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent aux termes de l’art. 9 LBA.
Dans la présente affaire, le point de savoir si le secret professionnel de l’avocat empêche le DFF de prendre connaissance des rapports d’une enquête interne (i.e. les versions intermédiaire et finale de la même mission), préparés par des avocats externes, avait déjà occupé le TPF (BE.2017.2 du 4 septembre 2017) et, sur recours du DFF, avait fait l’objet d’un arrêt de renvoi circonstancié du Tribunal fédéral (« TF ») (1B_433/2017 du 21 mars 2018), que nous avons eu l’occasion de commenter sur ce blog (https://verwaltungsstrafrecht.ch/de/kategorien/droit-penal-administratif-materiel/violation-de-lobligation-de-communiquer-selon-lart-37-lba-scelles-portee-du-secret-professionnel-de-lavocat-point-de-depart-de-la-prescription).
Sans réelle surprise, le TPF reprend à son compte dans l’arrêt BE.2018.3 les considérants du TF et l’approche adoptée par ce dernier dans son arrêt précité du 21 mars 2018. En bref, on rappelle que cette approche se caractérise par une interprétation particulièrement extensive des tâches de compliance (y compris de documentation et de reporting interne) qui incombent aux intermédiaires financiers assujettis à la LBA, plus particulièrement aux banques, dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent. Selon le TF, ces tâches incluent aussi l’activité qui relève du controlling et de l’auditing destinée à vérifier si et dans quelle mesure une banque s’est effectivement conformée à ses obligations de compliance dans ce domaine (TF, 1B_433/2017, c. 4.4 ; TPF, BE.2018.3, c. 9.4). Partant, si une banque devait décider de déléguer ses propres tâches de compliance et/ou de controlling/auditing, respectivement de documentation à une étude d’avocats, il découle de la jurisprudence actuelle que la banque ne saurait se prévaloir de manière générale du secret professionnel par rapport à ces éléments en cas de procédure pénale, d’autant moins que de telles tâches pourraient aussi, selon le TF, être outsourcées à un spécialiste externe qui n’est pas avocat (fiduciaire, société d’audit, etc.) (TF, 1B_433/2017, c. 4.6, 4.13 et 4.16).
Aussi, lorsqu’une banque met en œuvre une étude d’avocats dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent, il est nécessaire d’examiner au cas par cas le contenu exact du mandat confié, en particulier lorsque celui-ci est « global » respectivement « mixte », afin de dissocier l’activité dite typique, couverte par le secret professionnel, de l’activité accessoire commerciale de l’avocat, laquelle ne bénéficie pas de la protection de ce secret (TF, 1B_433/2017, c. 4.16; TPF, BE.2018.3, c. 9.4).
Dans le cas d’espèce, après avoir rappelé ces éléments, le TPF a examiné la teneur des rapports d’enquête interne litigieux et de leurs annexes à la lumière de la jurisprudence récente du TF. Le TPF parvient à la conclusion que ces documents échappent totalement au champ de l’activité typique de l’avocat, si bien qu’il ordonne la levée des scellés et autorise le DFF à prendre connaissance de leur contenu, sans aucune restriction. La conclusion du TPF repose apparemment sur la nature des informations consignées dans les rapports, dont la plupart consisteraient en un exposé des faits pertinents constatés par les avocats dans le cadre de leur enquête interne. En ce qui concerne l’analyse – y compris des risques juridiques encourus – exposée dans les rapports établis par lesdits avocats, le TPF estime qu’elle relèverait, au regard de la jurisprudence du TF, de tâches de controlling et d’auditing exclues du champ du secret professionnel de l’avocat (BE.2018.3, c. 9.5 et 10).
Sur ce dernier point, le raisonnement du TPF paraît a priori péremptoire, mais il nous est impossible de le commenter plus avant sans connaître le contenu exact des rapports en question. Quoi qu’il en soit, le débat sur cette question pourrait ne pas encore avoir atteint son épilogue, puisque, selon notre compréhension, l’arrêt BE.2018.3 a fait l’objet d’un recours au TF.
Quand bien même il paraît très peu vraisemblable que notre Haute Cour revienne sur les considérants de son arrêt du 21 mars 2018, il reste à voir si et dans quelle mesure elle confirmera ou infirmera l’appréciation faite par le TPF, notamment en ce qui concerne la nature de l’activité déployée par l’étude d’avocats dans le cadre du mandat qui lui avait été confié. Sur la base de la très brève description qui figure dans l’arrêt du TPF, il n’est prima vista pas exclu que certains éléments consignés dans les rapports litigieux puissent relever de l’activité typique de l’avocat et, partant, auraient dû être mis au bénéfice de la protection du secret professionnel.
Indépendamment de ce qui précède, l’arrêt du TPF ici commenté met une nouvelle fois en évidence la situation paradoxale dans laquelle peuvent se retrouver les banques dans la pratique: elles sont en effet tenues par une obligation très étendue de renseigner et d’annoncer sous l’angle prudentiel (art. 29 LFINMA), ce qui peut impliquer un travail de clarification à charge de l’assujetti, le cas échéant sous la forme d’une enquête interne, dont les résultats doivent ensuite être partagés et discutés en toute transparence avec la FINMA. Or, lorsque l’état de fait pertinent sous-jacent est, par ailleurs, l’objet d’une procédure pénale (ou pourrait conduire à une telle procédure), il n’est pas satisfaisant, notamment sous l’angle du principe nemo tenetur, que les documents relatifs à de telles enquêtes internes puissent être réquisitionnés et exploités sans aucune restriction par l’autorité de poursuite pénale. Le régime légal actuel et notamment l’absence de privilège réglementaire qui s’attache aux démarches et mesures prises par une banque à l’aune de l’art. 29 LFINMA est problématique et nécessite qu’une réflexion de fond soit menée, en vue de renforcer les droits des assujettis en cas de procédure pénale connexe. Il faut, en effet, éviter que le droit à une procédure équitable (fair trial) ne soit totalement éclipsé par l’objectif de sécurité et d’intégrité de la place financière suisse auquel aspirent les autorités de poursuite pénale, notamment le DFF (TF, 1B_433/2017 du 21.3.2018, c. 1.8). La FINMA semble d’ailleurs sensible à cette problématique. Aussi bien dans la présente espèce (cf. TPF, BE.2018.3, c. 8.3) que dans l’affaire qui avait débouché sur l’ATF 142 IV 207 (cf. c. 7.2.1), nous comprenons de l’état de fait que l’autorité de poursuite pénale s’était vue refuser la communication par la FINMA d’une copie des rapports d’enquête interne dont cette dernière avait été nantie dans le cadre prudentiel.
Proposition de citation : Andrew Garbarski, Violation de l’obligation de communiquer des soupçons de blanchiment d’argent – enquête interne – secret professionnel de l’avocat, in: http://www.verwaltungsstrafrecht.ch du 15 octobre 2018
Teilen:
Beitrag kommentieren
Ihr Kommentar wird nach einer Prüfung freigeschaltet.