Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 6B_1304/2017 du 25 juin 2018
Dans un arrêt du 25 juin 2018, consultable sous le lien suivant: https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/fr/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza%3A%2F%2Faza://25-06-2018-6B_1304-2017&lang=fr&zoom=&type=show_document, le Tribunal fédéral (« TF ») a dû se prononcer sur le recours en matière pénale interjeté contre un jugement du Tribunal pénal fédéral (« TPF ») du 12 octobre 2017, qui avait reconnu la recourante coupable d’acceptation indue de dépôts du public aux termes de l’art. 46 al. 1 lit. a de la Loi sur les banques. Le jugement du TPF s’inscrivait dans le prolongement d’une procédure de droit pénal administratif menée par le Département fédéral des finances (« DFF »), dans le cadre de laquelle ce dernier avait rendu un mandat de répression (art. 64 DPA) puis, sur opposition de l’intéressée, un prononcé pénal (art. 70 DPA).
A l’appui de son arrêt, le TF maintient sa jurisprudence (voir déjà TF, 6B_207/2017 du 11 septembre 2017 et ATF 142 IV 276), selon laquelle le prononcé pénal de l’administration est assimilé à un « jugement de première instance » interruptif de la prescription de l’action pénale aux termes de l’art. 97 al. 3 CP. Le TF considère en substance qu’à l’inverse de l’ordonnance pénale des art. 352 ss CPP, laquelle constitue une simple proposition de jugement, le prononcé pénal doit reposer sur une base circonstanciée (« umfassende Grundlage ») et doit être rendu dans une procédure contradictoire. Le caractère contradictoire serait également illustré par la possibilité dont dispose l’administration d’ordonner un débat oral ensuite de l’opposition (art. 69 al. 1 DPA). En outre, le TF relève que l’opposition au mandat de répression qui préfigure le prononcé pénal doit être motivée (art. 68 al. 2 DPA). Pour ces motifs, le TF considère que le prononcé pénal, à tout le moins s’agissant de la prescription, s’apparente davantage au jugement d’un tribunal qu’à une ordonnance pénale et qu’il est donc légitime d’attacher l’effet interruptif de prescription au prononcé pénal de l’administration.
Incidemment, on peut regretter que notre Haute Cour n’ait pas pris position sur tous les arguments soulevés par la recourante (consid. 2.1 de l’arrêt), dont la plupart avaient d’ailleurs fait l’objet d’une contribution de doctrine (Macaluso/Garbarski, PJA 2018, 117 ss) substantiellement passée sous silence dans l’arrêt ici commenté. Quoi qu’il en soit, l’approche du TF n’emporte (toujours) pas la conviction. Entre autres, le rôle attribué au prononcé pénal nous semble exagéré et peu en adéquation avec la manière dont les procédures de droit pénal administratif sont conduites dans la pratique. Il arrive souvent, en effet, que le contenu du prononcé pénal ne se démarque guère du mandat de répression auquel il succède, sans autre instruction que celle conduite en amont du mandat de répression. Le fait que l’opposition au mandat de répression doive être motivée n’y change rien, car fréquemment, l’autorité administrative persiste dans son appréciation du dossier et se contente de renommer sa décision en prononcé pénal, sans compléter l’enquête ni ordonner d’audition, démarches qui au demeurant sont facultatives selon l’art. 69 DPA.
En réalité, c’est uniquement la conséquence du « recours » (moyen de droit) ouvert contre le prononcé pénal qui devrait déterminer si un effet interruptif de la prescription de l’action pénale s’y attache ou non. Or, les moyens d’opposition du CPP et du DPA sont comparables, puisqu’aucun d’eux ne constitue une voie de recours stricto sensu (Rechtsmittel) mais un moyen de droit (Rechtsbehelf). Que l’on soit en présence d’une ordonnance pénale ou un prononcé pénal, l’opposition exercée dans les délais et les formes prescrits conduit à une rétractation du prononcé concerné, c’est-à-dire qu’il cesse d’exister ex tunc en tant que décision de portée juridictionnelle. Ces considérations ne sont pas du tout abordées dans l’arrêt du TF, pas plus que la difficulté que soulève l’assimilation du prononcé pénal à un « jugement » de première instance sous l’angle du droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’art. 6 CEDH (Macaluso/Garbarski, PJA 2018, 121). En effet, il est difficilement acceptable, du point de vue des droits de la défense, qu’un prononcé d’une autorité administrative ne remplissant à l’évidence pas les garanties d’indépendance et d’impartialité puisse déployer un effet de droit matériel tel que celui d’interrompre la prescription de l’action pénale.
En dépit de l’appréciation critique qui précède, il convient a minima de prendre acte que le Tribunal fédéral n’entend assimiler le prononcé pénal à un jugement de première instance que pour autant que le caractère contradictoire de la procédure d’opposition soit dûment respecté, ce qui comporte le respect du droit d’être entendu du prévenu. Cela se traduit en particulier par l’exigence posée à l’art. 68 al. 2 DPA que l’opposition au mandat de répression soit motivée, c’est-à-dire contienne les conclusions précises de l’opposant et les faits qui les motivent ainsi que les moyens de preuve allégués à leur appui. Si l’opposition ne satisfait pas à ces conditions, l’art. 68 al. 3 DPA impose à l’administration d’impartir un bref délai supplémentaire à l’opposant pour qu’il remédie à ce défaut. Ce n’est qu’à cette condition qu’une instruction contradictoire pourra ensuite (obligatoirement) intervenir avant que ne soit rendu un prononcé pénal valide et, a fortiori, interruptif de prescription de l’action pénale.
Par ailleurs, l’arrêt 6B_1304/2017 présente néanmoins deux éléments positifs complémentaires qu’il convient de relever brièvement.
D’une part, le TF confirme que la responsabilité dite du chef d’entreprise (Geschäftsherrenhaftung) consacrée à l’art. 6 al. 2 DPA suppose que le chef d’entreprise occupait une position de garant par rapport à ses subordonnés dont résulte une obligation juridique spécifique d’agir. Celle-ci peut notamment découler de l’obligation de surveillance ancrée dans les dispositions topiques du droit des sociétés (consid. 4.4.2), mais l’art. 6 al. 2 DPA n’est pas auto-suffisant à cet égard. La question étant controversée en doctrine et la jurisprudence n’étant pas toujours dénuée d’ambiguïté (voir Garbarski, RPS 2012, 415), il s’agit d’une clarification bienvenue.
D’autre part, l’arrêt 6B_1304/2017 comporte également des développements intéressants en matière de confiscation du produit de l’infraction, respectivement le prononcé d’une créance compensatrice en lien avec l’exercice d’une activité soumise à autorisation (consid. 5.4). Quand bien même le TF n’a pas eu à examiner la question dans le détail en l’espèce, en raison d’une violation du principe d’accusation, il relève néanmoins à juste titre que le lien de causalité entre l’infraction concernée (consistant à exercer une activité sans disposer de l’autorisation idoine) et les valeurs patrimoniales générées, par exemple sous la forme d’un revenu, ne serait donné et partant ne permettrait d’envisager la confiscation desdites valeurs que si les conditions pour l’obtention de l’autorisation n’étaient pas réalisées. A contrario, si ces conditions étaient en soi remplies, alors l’infraction ne consisterait pas dans l’exercice de l’activité, mais uniquement dans le fait de n’avoir pas sollicité l’autorisation, dont le défaut ne serait pas en lien de connexité avec les valeurs patrimoniales obtenues. Ces développements nous paraissent pertinents et ne sont pas sans rappeler la jurisprudence rendue en matière de travail au noir (ATF 137 IV 305, consid. 3.5; voir aussi ATF 141 IV 155, consid. 4.1), dont il découle que le produit d’une activité qui n’est pas en soi illicite, mais le devient du fait de l’absence d’autorisation pour l’exercer, n’est pas sujette à confiscation (voir à ce sujet la contribution des soussignés au blog, https://verwaltungsstrafrecht.ch/de/kategorien/droit-de-procedure-penale-administrative/sequestre-de-valeurs-patrimoniales-art-46-al-1-lit-b-dpa).
Proposition de citation: Alain Macaluso/Andrew Garbarski, Commentaire de l’arrêt 6B_1304/2017 du 25 juin 2018, in www.verwaltungsstrafrecht.ch du 17 juillet 2018
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