Confiscation de valeurs patrimoniales découlant d’une activité exercée sans autorisation
Le Tribunal fédéral (TF) a récemment mis en ligne l’arrêt 6B_928/2019 du 16 décembre 2019 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?lang=de&type=highlight_simple_query&page=1&from_date=&to_date=&sort=relevance&insertion_date=&top_subcollection_aza=all&query_words=6b_928%2F2019&rank=1&azaclir=aza&highlight_docid=aza%3A%2F%2F16-12-2019-6B_928-2019&number_of_ranks=1), lequel concerne une affaire de commerce (de gros) de médicaments exercé sans autorisation sur le territoire suisse, aux termes notamment des art. 86 et 87 de la Loi fédérale sur les produits thérapeutiques (LTPh), dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018. Dans la procédure pénale administrative, Swissmedic avait, par mandat de répression du 7 juillet 2016, infligé au prévenu une amende de CHF 50'000.- et l’avait condamné au paiement d’une créance compensatrice de quelque CHF 5.6 millions. Par prononcé pénal du 19 décembre 2016, Swissmedic avait maintenu l’amende et ramené la créance compensatrice à quelque CHF 5.1 millions.
Suite à la demande du prévenu à être jugé par un tribunal, selon l’art. 72 DPA, le tribunal d’arrondissement de Wil a confirmé par jugement du 30 août 2017 sa condamnation à une amende de CHF 50'000.- pour violation de la LPTh, mais l’autorité de première instance a renoncé à prononcer une créance compensatrice. Sur appel de Swissmedic, ce jugement a été confirmé par le tribunal cantonal de St. Gall le 28 février 2019. A l’appui de son recours en matière pénale au TF, Swissmedic conclut, principalement, à l’annulation de l’arrêt cantonal et au prononcé d’une créance compensatrice de quelque CHF 5 millions.
La condamnation du prévenu pour violation de la LTPh n’ayant pas été remise en cause dans le cadre de la procédure judiciaire cantonale, l’arrêt du TF ici relaté traite donc essentiellement du point de savoir si et dans quelle mesure les revenus générés par le commerce de médicaments auquel s’était livré le prévenu, sans disposer de l’autorisation requise, devaient, comme le soutenait Swissmedic, être confisqués, respectivement pouvaient donner lieu à une créance compensatrice, selon les règles prévues aux art. 70 ss CP, applicables en droit pénal administratif via le renvoi de l’art. 2 DPA.
Le TF rappelle, à juste titre (c. 3.1.3), que la confiscation suppose un lien de causalité entre l’infraction pénale et les valeurs patrimoniales générées, en ce sens que ces dernières doivent apparaître comme la conséquence directe et immédiate de l’infraction considérée. Un tel lien de causalité fait défaut si l’avantage patrimonial aurait aussi été obtenu sans l’acte punissable. Il est donc nécessaire de vérifier si l’auteur aurait réalisé le même avantage patrimonial au moyen d’un comportement alternatif légal. Ce qui est déterminant, c’est le déroulement hypothétique des faits sans l’infraction pénale. En outre, selon la jurisprudence, il faut que le produit de l’infraction soit intrinsèquement (« in sich ») illicite, ce qui n’est pas le cas lorsque le comportement de l’auteur n’est objectivement pas illégal (« verboten » dit le TF dans l’arrêt).
Comme évoqué plus haut, dans l’affaire portée au TF, la condamnation du prévenu reposait notamment sur l’art. 86 al. 1 let. b aLPTh, disposition qui réprime le commerce de médicaments sans autorisation, indépendamment de savoir si les conditions d’octroi de l’autorisation étaient réunies ou non (c. 3.2.3). En outre, dans le cas d’espèce, le prévenu s’était livré à un tel commerce pendant une période de 13 ans, en lien avec des médicaments qui étaient autorisés ou qui, le cas échéant, n’étaient pas soumis à autorisation selon les art. 9 ss aLPTh. Le commerce de tels médicaments sur le territoire suisse était donc une activité fondamentalement licite, dont l’exercice était cependant subordonné à une autorisation (cf. art. 28 al. 2 LPTh), qui faisait défaut chez le prévenu (c. 4.1).
Dans l’arrêt 6B_928/2019, le TF laisse ouverte la question de savoir si la confiscation est déjà exclue, du seul fait que l’activité déployée par le prévenu, considérée pour elle-même, était légale aux termes de la jurisprudence fédérale rappelée ci-dessus.
Aussi, pour déterminer si les revenus réalisés par le prévenu, au moyen du commerce de médicaments sans autorisation, peuvent donner lieu à une mesure de confiscation au sens large du terme (i.e. confiscation stricto sensu ou créance compensatrice), le critère décisif, selon le TF, est de savoir s’il existe un lien de causalité adéquate entre l’activité exercée sans autorisation et lesdits revenus, de sorte que les valeurs patrimoniales générées apparaissent comme la conséquence directe et immédiate de l’infraction pénale. Si ces valeurs avaient aussi été obtenues sans l’infraction en cause, alors le lien de causalité requis pour prononcer leur confiscation fait défaut (c. 4.3.2).
Sur ce point, le TF précise au considérant 4.3.2 que, s’agissant des activités qui ne sont pas généralement prohibées, mais dont le caractère licite dépend d’une autorisation étatique, l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’infraction et les valeurs patrimoniales générées – et donc la possibilité de prononcer leur confiscation – dépend de savoir si l’auteur de l’infraction remplissait les conditions pour l’octroi d’une telle autorisation. Si tel n’est pas le cas, le seul comportement alternatif légal à disposition de l’auteur consistait pour ce dernier à renoncer complètement à l’activité déployée. Partant, dans un tel cas de figure, les revenus réalisés au moyen de cette activité sans autorisation peuvent être confisqués.
En revanche, dans l’hypothèse inverse, où l’auteur remplissait les conditions d’octroi de l’autorisation requise, l’infraction pénale se manifeste davantage dans le fait d’avoir omis de solliciter l’autorisation que dans l’activité déployée, considérée pour elle-même. Le lien de causalité adéquate serait alors tout au plus donné par rapport à l’économie réalisée par l’auteur du fait qu’il n’a pas entrepris les démarches nécessaires, en vue d’obtenir l’autorisation idoine. Seule cette économie, correspondant à un avantage patrimonial, pourrait alors faire l’objet d’une mesure de confiscation, à l’exclusion des revenus générés grâce à l’activité déployée par l’auteur.
Dans l’affaire portée au TF, la décision querellée ne permettant pas à notre Haute Cour de déterminer si le prévenu remplissait ou non les conditions pour l’obtention d’une autorisation aux fins de faire du commerce de gros de médicaments, la cause a été renvoyée à l’instance cantonale intimée, afin que la motivation soit complétée sur ce point.
Il n’en reste pas moins que l’arrêt 6B_928/2019 du 16 décembre 2019 apporte, à notre sens, des clarifications bienvenues en ce qui concerne notamment le raisonnement qui doit trouver à s’appliquer, en matière de confiscation, lorsque les autorités sont amenées à connaître d’une affaire dans laquelle l’infraction pénale reprochée consiste à avoir exercé une activité professionnelle, fondamentalement licite, mais sans l’autorisation requise. L’arrêt signalé ici confirme, à cet égard, que la confiscation ne saurait être prononcée indistinctement par l’autorité compétente, au seul motif que l’autorisation étatique faisait défaut. Au contraire, encore faut-il examiner, au cas par cas, si l’auteur de l’infraction satisfaisait ou non les conditions applicables à une telle autorisation. En cela, ce dernier arrêt en date s’inscrit dans la droite ligne d’autres jurisprudences récentes, où ces questions avaient aussi été abordées par le TF, mais de manière moins détaillée (voir notamment TF, 6B_1304/2017 du 25 juin 2018, commenté par Macaluso/Garbarski sur ce blog, https://verwaltungsstrafrecht.ch/de/kategorien/droit-penal-administratif-materiel/commentaire-de-larret-du-tribunal-federal-6b13042017-du-25-juin-2018).
Proposition de citation : Andrew Garbarski, Confiscation de valeurs patrimoniales découlant d’une activité exercée sans autorisation, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 24 janvier 2020
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