L’accès prématuré aux données sous scellés par l’autorité de poursuite
Le présent signalement concerne la décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF) BE.2023.20 du 3 avril 2024 (https://bstger.weblaw.ch/cache?guiLanguage=de&q=BE.2023.20&id=77fda4ff-fab4-48f0-9707-35bc71650da6&sort-field=relevance&sort-direction=relevance), laquelle s’inscrit dans le cadre d’une enquête pénale (administrative) menée par l’Administration fédérale des contributions (AFC) à l’encontre de B. Inc., C et D, soupçonnés notamment de soustraction d’impôt au sens de l’art. 175 de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD ; RS 642.11).
Dans le cadre de ses investigations, la Division affaires pénales et enquêtes (DAPE) de l’AFC a, par décision du 10 novembre 2021, requis de la banque E. l’édition de la documentation relative aux comptes bancaires ouverts en ses livres au nom de C.
La banque E. a subséquemment informé A. SA – opposante dans le cadre de la présente procédure et titulaire d’un compte auprès de la banque E. – qu’elle était touchée par l’édition des documents précités, si bien que A. SA y a formé opposition le 23 novembre 2021 auprès de la DAPE, en requérant leur mise sous scellés, motif pris que lesdits documents contenaient des informations couvertes par son secret d’affaires.
Par courrier du 9 décembre 2021, la DAPE a informé A. SA que la banque E. lui avait transmis divers documents bancaires par voie électronique en date du 25 novembre 2021. Ces documents avaient été copiés par la DAPE sur une clé USB et, compte tenu de l’opposition formée par A. SA, ils n’avaient (i) pas été ouverts et (ii) provisoirement mis sous scellés jusqu’à droit jugé.
Par décision du 9 décembre 2021, la DAPE a cependant dénié à A. SA la légitimation à requérir les scellés et a rejeté l’opposition de cette dernière.
A. SA a formé recours contre cette décision auprès de la Cour des plaintes du TPF, laquelle a rejeté le recours par décision BV.2021.47 du 14 juillet 2022.
Saisi d’un recours en matière pénale interjeté par A. SA, le Tribunal fédéral (TF) a – par arrêt 7B_97/2022 du 28 septembre 2023 – annulé la décision précitée de la Cour des plaintes du TPF. Le TF a notamment retenu que l’AFC devait engager d’office une procédure formelle de levée des scellés auprès de la Cour des plaintes du TPF, procédure à laquelle A. SA devait être admise en qualité de partie, à charge pour elle de motiver de manière suffisamment étayée les intérêts au maintien du secret invoqué (cf. sur ce point le commentaire suivant publié sur ce blog : https://verwaltungsstrafrecht.ch/de/kategorien/droit-de-procedure-penale-administrative/devoir-de-collaboration-dans-la-procedure-de-levee-de-scelles).
Par requête du 6 novembre 2023, la DAPE – requérante dans le cadre de la présente procédure – a sollicité auprès de la Cour des plaintes du TPF la levée des scellés sur les documents édités par la banque E.
Par décision BE.2023.20 du 3 avril 2024, ici signalée, la Cour des plaintes du TPF a rejeté la demande de levée des scellés qui avait été formée par l’administration.
Le TPF rappelle que, selon la jurisprudence du TF (ATF 148 IV 221), la copie forensique (copie-miroir) de données, dans le cadre de la procédure de levée des scellés, ne saurait être ordonnée par l’autorité de poursuite ou confiée à une personne ou une autorité mandatée par elle et donc liée par ses instructions. Si une demande de mise sous de scellés est formée, les appareils électroniques concernés doivent être immédiatement scellés. En tant qu’une copie forensique des données s’avère appropriée pour la suite de la procédure, afin d’éviter leur perte ou pour d’autres motifs, l’autorité de poursuite doit – après avoir apposé les scellés sur les supports de données – déposer une demande en vue de l’exécution d’une copie forensique auprès du juge des scellés (tribunal des mesures de contrainte ou TPF selon que la procédure est régie par le CPP ou par la DPA). En cas d’urgence, une telle demande peut également être déposée à titre superprovisoire. En cas de graves vices de procédure, la poursuite de la procédure de levée des scellés est exclue et la demande de levée des scellés doit être rejetée (c. 3.3.1).
Le TPF souligne ensuite que le but de l’institution des scellés est de soustraire les données saisies à la connaissance des autorités d’enquête, tant qu’un tribunal ne s’est pas prononcé sur la licéité de l’accès à ces données. Une connaissance effective par les collaborateurs de l’autorité requérante du contenu des données pendant le processus de copie forensique n’est pas déterminante (c. 3.3.2).
Dans le cas d’espèce, le TPF relève que ni l’opposante, ni le TPF ne sont en mesure de vérifier (i) comment et quand la DAPE a accédé aux documents qui lui ont été transmis par voie électronique par la banque E. et (ii) si l’AFC a effectivement pris connaissance du contenu desdits documents. La DAPE n’indique pas par quel moyen technique les données lui ont été transmises par la banque E. et omet en particulier de désigner la plateforme d’envoi en cause (c. 3.3.2).
Le TPF observe que la décision d’édition de la DAPE du 10 novembre 2021 ne comportait aucune indication sur les modalités techniques de transmission électronique des documents en question à la DAPE, seule l’adresse e-mail de l’enquêteur compétent y étant mentionnée. Le TPF estime que cela laisse supposer que les documents bancaires en question ont pu être transmis à l’enquêteur au moyen d’un e-mail. Dans ces circonstances, les documents bancaires transmis étaient en principe consultables par l’enquêteur dès la réception de l’e-mail en question et pourraient l’être restés même après l’établissement d’une copie forensique, ce qui n’est au demeurant pas contesté par l’autorité requérante.
La DAPE ne s’exprime pas plus sur le sort réservé auxdits documents transmis par voie électronique. Les allégations de l’autorité requérante selon lesquelles elle ne les a (i) pas consultées, (ii) les a « copiées » sur une clé USB puis (iii) mis cette clé sous scellés ne changent rien au fait qu’elle aurait pu – et, cas échéant, peut toujours – consulter les données qui lui ont été transmises (c. 3.3.2).
Sur ce vu, le TPF considère que la possibilité d’un accès prématuré – et donc illicite – à ces données par l’autorité de poursuite ne peut qu’être constatée.
Compte tenu de ce qui précède, le TPF rejette la requête de levée des scellés de la DAPE, ordonne la restitution de la clé USB (sous scellés) à A. SA, ainsi que la destruction par la DAPE des éventuelles données encore conservées par-devers elle.
La décision ici commentée du TPF doit être saluée. Elle met en pratique les enseignements tirés de l’ATF 148 IV 221 en matière de copie forensique, que nous avions eu l’occasion de commenter sur ce blog (https://verwaltungsstrafrecht.ch/de/kategorien/droit-de-procedure-penale-administrative/mise-sous-scelles-et-copie-forensique-de-donnees-informatiques-la-pratique-du-tpf-desavouee-par-le-tf).
Signalons également que notre Haute Cour a récemment rendu un arrêt 7B_127/2022 du 5 avril 2024 (https://www.bger.ch/ext/eurospider/live/de/php/aza/http/index.php?highlight_docid=aza://05-04-2024-7B_127-2022&lang=de&zoom=&type=show_document), faisant lui aussi écho à l’ATF 148 IV 221 et traitant notamment du moment de l’établissement de la copie forensique. Dans le cadre de cet arrêt, le TF a admis la demande de levée des scellés du Ministère public et a eu l’occasion de préciser que l’ATF 148 IV 221 n’était pas pertinent en l’espèce, puisque les supports de données n’étaient pas (encore) sous scellés lorsque leur copie forensique a été effectuée. Ces données s’étaient en effet retrouvées pendant plus de 14 mois en mains des autorités de poursuite pénale, avant d’être scellées. Or, à ce moment-là, la mise sous scellés était déjà devenue sans objet car elle n’était plus à même de garantir – après une si longue période – que les autorités n’avaient pas pu prendre connaissance des données et les exploiter. Dans la mesure où les supports de données ne pouvaient plus être mis sous scellés de manière conforme au droit, le TF estime, aux termes de son arrêt 7B_127/2022, que le tribunal des mesures de contrainte n’aurait pas dû se prononcer sur la demande de levée des scellés sur le fond, mais bien plutôt autoriser les autorités de poursuite à saisir et exploiter les supports de données et leurs copies forensiques.
Notons encore que, dans le cadre de l’avant-projet de « Loi fédérale sur le droit pénal administratif et la procédure pénale administrative », mis en consultation jusqu’au 10 mai 2024, l’art. 181 al. 6 AP-DPA prévoit que « [l]e tribunal peut recourir à un expert afin d’examiner le contenu des documents, enregistrements et autres objets, d’accéder à ceux-ci ou d’en garantir l’intégrité [let. a] et désigner des membres des corps de police comme experts afin d’accéder au contenu des documents, enregistrements et autres objets ou d’en garantir l’intégrité [let. b] ». Le Rapport explicatif qui accompagne l’avant-projet semble tirer de cette disposition la possibilité, pour l’unité administrative, de requérir du juge des scellés l’établissement d’une copie forensique des données, lorsqu’elle s’avère nécessaire (cf. Rapport explicatif relatif à l’ouverture de la procédure de consultation DPA du 31 janvier 2024, p. 115). Cette solution matérialise ainsi les principes de l’ATF 148 IV 221 susvisé.
Proposition de citation : Andrew Garbarski/Dylan Frossard, L’accès prématuré aux données sous scellés par l’autorité de poursuite, in : www.verwaltungsstrafrecht.ch du 16 mai 2024
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